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gage dans les joncs qui sont par là, je ne sais où, nous sommes perdus tous les trois. Ces diables d’herbes nous prendront comme dans un filet, et vous aurez beau savoir tous leurs noms en latin, mademoiselle Geneviève, nous n’en serons pas moins pâture à écrevisses.

— Retournons en arrière, dit Geneviève.

— Cela ne vaudra pas mieux, dit Joseph. Que voulez-vous faire au milieu de ce brouillard ? Je vous vois comme en plein jour, et à deux pieds plus loin, votre serviteur ; il n’y a plus moyen de savoir si c’est du sable ou de l’écume.

En parlant, Joseph se retourna vers Geneviève, et vit distinctement sa jambe, qu’à son insu elle avait mise à découvert, en relevant sa robe pour ne pas se mouiller. Cette petite jambe, admirablement modelée et toujours chaussée avec un si grand soin, vint se mettre en travers dans l’imagination de Joseph, avec toutes ses perplexités ; et en la regardant, il oublia entièrement qu’il avait lui-même les jambes dans l’eau, et qu’il était en grand danger de se noyer, au premier mouvement que ferait son cheval.

— Allons donc, dit Geneviève, il faut prendre un parti ; il ne fait pas chaud ici.

— Il ne fait pas froid, dit Joseph.

— Mais il se fait tard, André meurt peut-être. Joseph, avançons, et recommandons-nous à Dieu, mon ami.

Ces paroles mirent une étrange confusion dans l’esprit de Joseph : l’idée de son ami mourant, les expressions affectueuses de Geneviève, et l’image de cette jolie jambe, se croisaient singulièrement dans son cerveau.

— Allons, dit-il enfin, donnez-moi une poignée de main, Geneviève, et si un de nous seulement en réchappe, qu’il parle de l’autre quelquefois avec André.

Geneviève lui serra la main, et laissant retomber sa robe, elle frappa elle-même du talon le flanc de sa monture. François se remit courageusement à la nage, avança jusqu’à une éminence, et au lieu de continuer, revint sur ses pas.

— Il cherche le chemin ; il voit qu’il s’est trompé, dit Joseph. Laissons-le faire, il a la bride sur le cou.