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tout ce qui avait osé s’attaquer à elle. Elle fit saisir publiquement et amener en sa présence le serf de la glèbe qu’elle-même avait payé pour commettre le crime, et que jusque-là elle avait aidé à se soustraire à toutes les recherches. « C’est donc toi, lui dit-elle, feignant la plus vive indignation, toi qui as poignardé Prætextatus, l’évêque de Rouen, et qui es cause des calomnies répandues contre moi ? » Puis elle le fit battre sous ses yeux, et le livra aux parens de l’évêque, sans plus s’inquiéter de ce qui s’ensuivrait que si cet homme n’eût rien connu du complot dont il avait été l’instrument[1]. Le neveu de Prætextatus, l’un de ces Gaulois à l’humeur violente, qui, prenant exemple des mœurs germaniques, ne respiraient que vengeance privée, et marchaient toujours armés comme les Franks, s’empara de ce malheureux, et le fit appliquer à la torture dans sa propre maison. L’assassin ne fit pas attendre ses réponses et ses aveux : « J’ai fait le coup, dit-il, et pour le faire, j’ai reçu cent sous d’or de la reine Fredegonde, cinquante de l’évêque Mélantius, et cinquante de l’archidiacre de la ville ; on m’a promis en outre la liberté pour moi et pour ma femme[2]. »

Quelque positives que fussent ces informations, il était clair désormais qu’elles ne pouvaient amener aucun résultat. Tous les pouvoirs sociaux de l’époque avaient tenté vainement d’exercer leur action dans cette épouvantable affaire. L’aristocratie, le sacerdoce, la royauté elle-même, étaient demeurés impuissans pour atteindre les vrais coupables. Persuadé qu’il n’y aurait pas pour lui de justice hors de la portée de son bras, le neveu de Prætextatus termina tout par un acte digne d’un sauvage, mais dans lequel la part du désespoir était peut-être aussi grande que celle de la

  1. Illa quoque quò facilius detergeretur à crimine, adprehensum puerum caedi jussit vehementer, dicens : « Tu hoc blasphemium super me intulisti, ut Praetextatum episcopum gladio adpeteres. » Et tradidit eum nepoti ipsius sacerdotis. (Greg. Turon. Hist. lib. viii, pag. 331) — Grégoire de Tours me semble s’être mépris sur les motifs de cette étrange action.
  2. Qui cùm eum in supplicio posuisset, omnem rem evidenter aperuit, dixitque : A reginâ enim Fredegunde centum solidos accepi, ut hoc facerem ; à Melantio verò episcopo quinquaginta ; et ab archidiacono civitatis alios quinquaginta ; insuper et promissum habui ut ingenuus fierem, sicut et uxor mea. (Ibid.)