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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

férocité : il tira son épée, et coupa en morceaux l’esclave qu’on lui avait jeté comme une proie[1]. Ainsi qu’il arrivait presque toujours dans ce temps de désordre, un meurtre brutalement commis fut l’unique réparation du meurtre. Le peuple seul ne manqua pas à la cause de son évêque assassiné ; il le décora du titre de martyr, et pendant que l’église officielle intronisait l’un des assassins, et que les évêques l’appelaient frère, les citoyens de Rouen invoquaient dans leurs prières le nom de la victime, et s’agenouillaient sur son tombeau[2]. C’est avec cette auréole de vénération populaire, que le souvenir de saint Prétextat, objet de pieux hommages pour les fidèles qui ne savaient guère de lui que son nom, a traversé les siècles. Si les détails d’une vie tout humaine par ses malheurs et par ses faiblesses peuvent diminuer la gloire du saint, ils attireront du moins sur l’homme un sentiment de sympathie ; car n’y a-t-il pas quelque chose de touchant dans le caractère de ce vieillard, qui mourut pour avoir trop aimé celui qu’il avait tenu sur les fonts de baptême, réalisant ainsi l’idéal de la paternité spirituelle instituée par le christianisme ?


Augustin Thierry.
  1. In hâc voce illius, evaginato homo ille gladio praedictum reum in frusta concidit. (Greg. Turon. Hist. lib. viii, pag. 331.)
  2. Vid. Gregorii magni papaei.Epist. xxix, apud script. rerum francic., tom. iv, pag. 29.