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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

avait trouvée chez les écrivains, littérateurs ou philosophes, de cette école, Mme de Staël a toujours bien parlé d’eux en ses écrits. À part Chénier, sur le compte duquel elle s’est montrée un peu sévère dans ses Considérations, elle n’a jamais mentionné aucun des noms de ce groupe littéraire et philosophique qu’honorablement et comme en souvenir d’une ancienne alliance. Mais son exil à la fin de 1803, ses voyages, son existence de suzeraine à Coppet, ses relations germaniques, aristocratiques, moins contrebalancées, tout la jeta dès-lors dans une autre sphère, et dissipa vite en elle cette inspiration de l’an iii, que nous avons essayé de ressaisir. Forcée de quitter Paris, elle se dirigea aussitôt vers l’Allemagne, s’exerça à lire, à entendre l’allemand, visita Weimar et Berlin, connut Goëthe et les princes de Prusse. Elle amassait les premiers matériaux de l’ouvrage, qu’un second voyage en 1807 et 1808 la mit à même de compléter. Se lancer ainsi du premier bond au-delà du Rhin, c’était rompre brusquement d’une part avec Bonaparte irrité, c’était rompre aussi avec les habitudes de la philosophie du xviiie siècle, qu’elle venait en apparence d’épouser par un choix d’éclat. Ainsi ces grands esprits se comportent. Ils sont déjà à l’autre pôle quand on les croit encore tout à l’opposite. Comme les rapides et infatigables généraux, ils allument des feux sur les hauteurs, et on les suppose campés derrière, quand ils sont déjà à bien des lieues de marche et qu’ils vous prennent par les flancs. La mort de son père ramena subitement Mme de Staël à Coppet. Après le premier deuil des funérailles et la publication des manuscrits de M. Necker, elle repartit en 1804 pour visiter l’Italie. L’amour de la nature et des beaux-arts se déclara en elle sous ce soleil nouveau. Delphine confesse quelque part qu’elle aime peu la peinture, et, quand elle se promène dans les jardins, elle est bien plus occupée des urnes et des tombeaux que de la nature elle-même. Mais cette vapeur d’automne, qui enveloppait l’horizon de Bellerive, s’évanouit à la clarté des horizons romains ; tous les dons, toutes les muses qui vont faire cortége à Corinne, se hâtent d’éclore.

Revenue à Coppet en 1805, et s’occupant d’écrire son roman poème, Mme de Staël ne put demeurer plus long-temps à distance de ce centre unique de Paris où elle avait brillé, et en vue duquel elle aspirait à la gloire. C’est alors que se manifeste en elle cette