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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

autres, il fallut plus tard la jeter à la mer pour débarrasser le bâtiment d’un poids inutile. Pour surcroît de contrariétés, l’équipage du baleinier se révolta au moment du départ, et refusa de sortir du port ; il fallut partir sans lui. Non découragé par ces évènemens, et une foule d’autres de même nature, le capitaine Ross poursuivit résolument son entreprise. Dans les premiers jours de juillet, il entra dans le détroit de Davis, qu’il trouva entièrement libre de glaces, et le 23 il toucha à Holsteinborg, l’un de ces petits établissemens que les Danois ont fondés sur la côte orientale du Groenland. Celui-ci est situé par les 66° 58′ lat. N. Nous nous y arrêterons un instant en laissant parler le capitaine Ross.

« L’aspect du pays était plus beau que notre expérience passée de cette côte inhospitalière ne nous permettait de l’espérer, et nous rappela les contrées plus heureuses que nous avions quittées un mois auparavant, et l’été que nous croyions avoir laissé derrière nous. Partout le sol, à moins que ce ne fussent des précipices ou des rochers à pic sur le bord de la mer, était couvert de verdure ; une multitude de plantes sauvages en fleur faisaient un parterre d’un lieu où nous ne comptions rencontrer que des amas de neige et de rochers en désordre ; nous ne nous étonnâmes plus qu’on eût donné le nom de Groenland[1] à un pays que nous et bien d’autres avaient toujours cru ainsi appelé par dérision. C’était en effet une terre verte, et nos yeux contemplaient d’autant plus avidement cette verdure, que depuis long-temps ils n’avaient vu que le ciel et l’eau, et que nous savions parfaitement qu’à peu de distance de là ils n’eussent rencontré que des scènes de désolation. Il n’y manquait pas même le fléau ordinaire des pays chauds, c’est-à-dire des légions de moustiques qui nous poursuivaient avec un acharnement tel que beaucoup d’entre nous en avaient rarement vu de pareils aux Indes occidentales.

« À peine étais-je de retour à bord, que nous fûmes surpris par l’arrivée subite d’une embarcation portant pavillon danois et accompagnée d’une foule de canots. Nous vîmes avec plaisir que dans cette foule, qui, au premier coup d’œil, ne paraissait composée que d’Esquimaux, il se trouvait deux Européens. Tous deux portaient le costume ordinaire des naturels. Ils se firent connaître l’un pour le gouverneur, l’autre pour le curé du district de Holsteinborg, en ajoutant qu’ils étaient venus s’informer qui nous étions et si nous avions besoin de quelques secours. Ils ne nous avaient pas vus entrer ; mais ayant aperçu le sommet de nos mâts, qui dominaient les rochers, ils avaient pensé que nous avions fait côte, jamais aucun navire n’ayant paru dans cette crique. Nous trouvâmes dans le gouverneur,

  1. Groenland, dans les langues du nord, signifie terre verte.