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rapidement de plusieurs degrés ; tout annonçait l’hiver et la fin de la campagne. Les progrès du Victory devenaient à chaque instant plus lents. Enfin le 30 il se trouva en présence d’une barrière compacte de glace, n’offrant aucune ouverture où le navire pût pénétrer. Il fallut renoncer à aller plus loin. L’expédition se trouvait alors par les 69° 59′ N. dans un havre commode, qui fut nommé le havre Félix.

« Nulle part, dit le capitaine Ross, on n’apercevait un seul atome d’eau ; — excepté quelques pointes noirâtres de rochers, se dressant de loin en loin, rien n’apparaissait tout à l’entour de l’horizon qu’une couche uniforme et éblouissante. C’était à vrai dire, un triste tableau. Malgré l’éclat dont elle brille, cette terre, la terre des neiges et des glaces éternelles, a toujours été et sera toujours un désert morne, désolé et accablant pour l’ame ; sous son influence, la pensée elle-même est paralysée ; elle cesse d’agir, de percevoir, de se soucier même de ce qui pourrait la stimuler par sa nouveauté : partout l’uniformité, le silence et la mort. Une imagination poétique s’efforcerait en vain de trouver matière à description dans ce qui n’offre aucune variété, où rien ne se meut, rien ne change, mais où tout est à jamais le même, mort et glacé.

Les préparatifs pour l’hivernage commencèrent aussitôt ; la poudre fut débarquée et mise en sûreté dans un magasin construit sur une île voisine ; un observatoire fut élevé à peu de distance. La machine à vapeur, qui depuis long-temps n’était qu’un fardeau inutile pour le navire, fut mise à terre, et la place qu’elle occupait accrut d’autant l’espace destiné à l’équipage ; on passa ensuite une revue exacte des vivres, et il s’en trouva assez pour deux ans et dix mois, en accordant la ration entière aux matelots. Le navire se trouvant considérablement allégé, il fallut rompre la glace à l’entour, afin qu’il pût se mettre au niveau de sa ligne de flottaison. Cette opération terminée, il s’éleva de neuf pouces ; on l’entoura alors d’une muraille de glaces et de neige pour le mettre à l’abri du froid, et une sorte de toiture fut construite dans le même but.

Il n’est personne qui n’ait lu avec intérêt les précautions prises par le capitaine Parry, pour le bien-être de son équipage, pendant son hivernage à l’île Melville ; celles du capitaine Ross ne furent pas moins ingénieuses, ainsi qu’on en jugera par les détails suivans.

« Notre toiture avait été achevée dans le cours de ce mois (octobre), mais il nous restait encore à couvrir le pont de neige, et à mettre la dernière main à notre muraille. D’autres dispositions avaient été prises en même temps dans l’intérieur du navire : une chambre avait été construite sur l’avant pour recevoir les coffres de l’équipage, ainsi que la cuisine et le four ; des tuyaux en cuivre, partant de ceux-ci, circulaient autour de l’apparte-