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REVUE. — CHRONIQUE.

le cercle de sa condition immuable, il rompit la conférence. Il avait raison en effet de chercher à éloigner à tout prix un homme, qui, au lieu de consentir à ramasser la paix sous les pieds de l’ennemi, la lui aurait tendue au bout de son épée victorieuse.

Il n’y avait, ce semble, qu’une seule réponse à une si insolente proposition : marcher sur la tribu et camper sur son village, au milieu de ses figuiers et de ses moissons, jusqu’à ce qu’elle vint à composition. Mais que la philantropie se rassure ; nous serons clémens. Un bâtiment à vapeur a été expédié sur-le-champ à Alger pour annoncer la bonne nouvelle : Ouled-Reïba consentait à accorder la paix à la France, pourvu qu’on lui sacrifiât tout d’abord le commandant supérieur de Bougie. Sans doute, le même navire emportait une lettre du colonel Duvivier, demandant à être rappelé plutôt que d’être un obstacle à cette pacification si ardemment désirée et implorée à deux genoux. Sans doute le gouverneur, loin de sentir dans cette simple requête une ironie amère, n’y aura vu qu’un motif de joie et une facilité de plus pour arriver à l’accomplissement de ses honorables vœux. En effet, le bateau à vapeur est revenu d’Alger à Bougie avec une étonnante célérité ; le colonel Duvivier est révoqué de ses fonctions, et le colonel Lemercier est nommé commandant supérieur à sa place.

Mais on ne recueillera pas le fruit de lèse-dignité nationale, dont on a déjà en plein assumé la honte. Ceux qui ont agi ainsi ont trahi leur inexpérience du pays et de ses habitans. Ils ignorent la valeur d’un traité conclu avec un scheik et la nature de cette autorité versatile non organisée, basée sur le simple caprice d’une population avide de nouveautés. Un scheik n’a nullement mission pour faire la paix, et sa signature n’a tout au plus qu’un sens individuel, comme indice de son désir particulier, en supposant encore qu’il arrive quelquefois à un Arabe de faire concorder ses actes extérieurs avec sa disposition intime. D’ailleurs, une tribu n’est pas le pays ; en sorte qu’en admettant qu’un traité ait quelque importance, il en faudrait non pas un, mais cinquante. Or, l’accession d’une tribu à un parti, loin d’être pour les autres une raison d’attraction vers le même centre, n’est le plus souvent qu’une cause de répulsion plus vive.

Voici les probabilités de l’avenir : Ouled-Reïba exploitera la passion du gouvernement français pour la paix ; il allongera sans fin, au fur et à mesure de ses besoins, la série de ses prétentions. Les belliqueuses tribus de M’zaïa, en haine de notre nouvel allié Ouled-Reïba, rompront la neutralité dans laquelle elles se renfermaient depuis huit ou dix mois, et nous aurons la guerre. Ouled-Reïba exigera que nous l’aidions à soumettre ses ennemis, et par là nous aurons encore la guerre. Nous nous battrons,