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monumens chrétiens de Rome. Saint Augustin et saint Jean Chrysostome avaient célébré ce zèle « qui amenait dans la royale ville de Rome, au tombeau du pêcheur, des empereurs, des consuls, des généraux d’armée. » Charlemagne, dit Eginhart, employa plusieurs jours à visiter les lieux saints, et Knut-le-Grand, roi de Danemark et d’Angleterre, qui, féroce comme Clovis et politique comme Charlemagne, comprit, comme tous deux, le parti qu’il pouvait tirer de l’église, s’achemina vers Rome du fond du Danemark ; et dans une lettre assez curieuse adressée à tout le peuple d’Angleterre, il s’exprime ainsi : « Je vous fais connaître que je suis allé récemment à Rome, prier pour la rédemption de mes péchés, et pour le salut de mes peuples… Il y a long-temps que j’avais fait vœu à Dieu d’entreprendre ce voyage ; mais diverses circonstances m’en avaient empêché jusqu’à ce jour. Maintenant je rends de très humbles actions de graces à mon Dieu tout puissant, de ce qu’il m’a accordé de pouvoir visiter dans ma vie, et, selon mon désir, vénérer et adorer en réalité (presentialiter) Saint-Pierre, Saint-Paul, et tous les lieux saints, qui sont dans les murs et hors des murs de la ville. » Le rusé Scandinave avait eu d’autres intentions, en allant à Rome, que de visiter les tombeaux et les églises. Cependant on ne peut croire qu’il ait été insensible aux émotions du pélerin. L’énergie barbare des expressions qu’il emploie, rend assez bien ce que ces hommes rudes et simples devaient éprouver en voyant, en touchant ces lieux réellement présens (presentialiter), et le soin de notifier à tout un peuple un semblable voyage prouve l’importance que lui et son temps y attachaient.

Le récit d’un de ces pélerins serait une chose bien curieuse ; malheureusement je n’ai pu en trouver un seul : il est vrai qu’un homme d’Einsiedeln en Suisse est venu à Rome au ixe siècle ; mais sa curieuse notice, publiée par Mabillon dans ses Analecta, ne contient que des détails topographiques, des relevés d’inscriptions, et nulle impression personnelle ; elle est très importante pour la détermination scientifique de quelques monumens, nullement pour l’histoire de Rome, dans l’imagination des différens ages, et c’est cette histoire que nous avons en vue.

Si on veut se faire une idée du sentiment dont Rome affectait ces pélerins, et dont ils ne nous ont pas conservé l’expression, on n’a