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PORTRAITS DE ROME.

ouvertes à quiconque s’en veut servir… ou aller ouïr des sermons, de quoi il y en a en tout temps, ou des disputes de théologie… Tous ces amusemens m’embesoignaient assez… De mélancolie qui est la mort, et de chagrin, je n’en avait nulle occasion ; ni dedans, ni hors de la maison… c’est ainsi une plaisante demeure, et puis argumentez par là, si j’eusse goûté Rome plus privément, combien elle m’eût agréé. » Il n’y a rien à ajouter à cette peinture si bien sentie de la vie indolente et occupée, calme et variée ; paisible sans ennui, et remplie sans fatigue, qu’on mène à Rome, et qu’on ne mène que là. Enfin Montaigne avait bien raison de dire qu’il eût encore aimé davantage Rome s’il l’eût connue plus privément, car son charme devient d’autant plus profond et plus pénétrant qu’on le savoure plus long-temps. On peut ne pas se plaire à Rome ; mais qui s’y est plu quelque temps, s’y plaira toujours davantage ; qui s’y est attaché une fois, ne s’en détachera jamais.

La littérature française fut, au xvie siècle, moitié italienne et moitié latine ; à ce double titre, Rome devait être visitée, et l’a été en effet par presque tous nos hommes célèbres de cette époque. Nous avons mentionné Rabelais et Montaigne ; il faudrait y joindre l’Hôpital, de Thou, et l’ami de Ronsard, l’auteur du manifeste en faveur de l’école nouvelle qui voulait ressusciter l’antiquité, de l’école qui a été dite romantique pour avoir été trop classique, le bon Joachim Dubellay.

Quelques lignes insignifiantes de la vie de de Thou écrite par lui-même, et quelques vers latins pleins d’humeur, dans les épîtres de l’Hôpital, sont tout ce que l’un et l’autre ont laissé sur Rome. Dubellay a fait plus ; nous avons de lui deux recueils bien différens consacrés à chanter cette ville où il passa plusieurs années, attaché à son parent le cardinal Dubellay. L’un de ces recueils est intitulé les Antiquités de Rome, contenant une générale description de sa grandeur et comme une déploration de sa ruine. Ici, il prend Rome au sérieux, il enfle sa voix pour en déplorer la chute. Celui qui parle, c’est le poète devenu presque païen à force d’érudition, qui entonnait le pœan ou le dithyrambe et chantait Evoe dans ces réunions où l’on immolait un bouc à Bacchus. De ce point de vue élégiaque, ce qui devait le frapper, c’était l’absence, pour ainsi dire, de la Rome antique ; lui-même était comme un vieux Romain qui