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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

sous les yeux ne leur arrachèrent non plus aucune de ces marques d’étonnement dont nous avions été témoins parmi les tribus sauvages du nord de la baie de Baffin en 1818.

« Les morceaux de fer que nous leur donnâmes provoquèrent cependant parmi eux une joie universelle. En retour, ils nous offrirent leurs lances et leurs couteaux que nous refusâmes ; ce qui ne leur causa pas moins de surprise que de satisfaction. Nous pûmes voir alors qu’ils avaient infiniment meilleure mine que nous, étant aussi bien vêtus et beaucoup mieux nourris, ce qu’indiquaient leurs figures rebondies et aussi roses que le permettait la couleur obscure de leur teint. Comme chez toutes les autres tribus d’Esquimaux, leur visage formait un ovale régulier ; ils avaient les yeux de couleur foncée et rapprochés l’un de l’autre, le nez petit et les cheveux noirs ; leur peau n’était pas non plus d’un cuivré aussi sombre que celle des tribus que j’avais observées jadis plus au nord. Ils paraissaient également beaucoup plus propres, et, ce que je n’avais pas encore vu, leurs cheveux étaient coupés courts et assez proprement tenus.

« Trois des naturels furent admis dans la chambre du navire où ils donnèrent enfin des signes nombreux d’admiration. Des gravures représentant des Esquimaux et choisies dans plusieurs relations de voyages antérieurs, leur firent grand plaisir ; ils reconnurent aussitôt que c’étaient des portraits d’individus de leur race. Les miroirs furent néanmoins, comme de coutume, ce qui les surprit davantage, surtout quand ils se virent dans le plus grand de ceux que nous avions. La lampe et les chandeliers n’excitèrent pas un moindre étonnement ; du reste, ils ne montrèrent jamais le désir de s’emparer de la moindre chose, recevant simplement ce qu’on leur offrait avec des marques de reconnaissance non équivoques. Nos viandes conservées ne leur plurent pas : un d’eux qui en goûta, sembla le faire par politesse, et dit qu’il la trouvait très bonne ; cependant le commandant Ross lui fit convenir qu’il n’avait pas dit la vérité, sur quoi tous les autres, après en avoir obtenu la permission, jetèrent les morceaux qu’ils avaient pris ; mais de l’huile ayant été offerte au même individu, il la but avec grand plaisir, en ajoutant qu’elle était véritablement bonne. C’est ainsi que les goûts de ces tribus sont admirablement adaptés à leurs grossiers alimens, et leurs idées de bonheur aux moyens qu’ils ont reçus en partage. Bien certainement, ces hommes au milieu de leur lard et de leur huile de baleine, de leur nourriture malpropre et de leur odeur repoussante, n’avaient aucun motif pour envier les raffinemens de notre manière de vivre ; ils n’en auraient éprouvé que du dégoût ; ils auraient pris en pitié notre barbarie et notre ignorance, et le besoin le plus extrême eût seul pu les engager à faire usage de nos mets.