Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/552

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
546
REVUE DES DEUX MONDES.

et des autres objets posés sur la table, excita naturellement chez eux un vif étonnement ; ils parurent aimer la soupe et apprirent bien vite à se servir de la cuiller sans montrer trop de gaucherie. L’usage du couteau et de la fourchette ne les embarrassa pas plus. La viande conservée parut ensuite de leur goût ; mais ils rejetèrent absolument la viande salée, le pudding, le riz et le fromage. Après avoir dîné, ils témoignèrent le désir de quitter la table, et nous les suivîmes près de leurs compagnons qui avaient également été bien traités par les matelots et dansaient en ce moment avec eux.

« Avant ces incidens, et tandis que nous revenions à bord, une bouffée de vent glacial ayant fondu sur nous d’une vallée, un des naturels m’avertit qu’une de mes joues était gelée, et aussitôt prenant une boule de neige, il en frotta l’endroit affecté ; je lui dus, pour le moins, d’être préservé de vives douleurs. Il se tint ensuite constamment près de moi, me recommandant de temps à autre de mettre ma main sur la partie malade, afin d’éviter une nouvelle attaque du froid. Cette action partait d’un bon cœur, et contribua, avec tout le reste, à nous donner une idée favorable de ce peuple ; tous montraient les mêmes dispositions, et nous aidaient à porter les différens objets dont nous étions chargés, comme s’ils n’avaient rien pu faire de trop pour nous obliger.

« 11 janvier. — À une heure de l’après-midi, l’individu qui avait perdu la jambe, et qui se nommait Tulluahiu, arriva, accompagné d’un autre naturel très intelligent, appelé Tiaguashu, qui le tirait dans un traîneau. Le chirurgien, ayant examiné le moignon, le trouva en bon état et cicatrisé depuis long-temps ; le genou étant ployé naturellement, il n’y avait aucun empêchement à y adapter une jambe de bois. Le charpentier fut aussitôt mandé pour en prendre la mesure, opération pendant laquelle le patient, anticipant sur le résultat, témoigna la satisfaction la plus vive. Nos hôtes paraissant disposés à être plus communicatifs, la carte fut exhibée ; nous découvrîmes alors qu’ils connaissaient tous les points entre Igloolik et Repulse-Bay, ou du moins leurs noms, ainsi que la plupart de ceux des habitans. Quand nous leur indiquâmes Ackoolee en le leur montrant sur la carte, ils reconnurent aussitôt leur position actuelle et celle du navire. L’un d’eux, Tulluahiu, prit alors le crayon et traça la route par laquelle ils étaient venus, en y faisant des points de distance en distance, et comptant sur ses doigts pour indiquer qu’ils n’avaient dormi que huit fois dans le cours du voyage. Tiaguashu dessina à son tour une ligne de côte le long de laquelle nous devions naviguer pendant l’automne ; sa direction était à l’ouest, et elle renfermait plusieurs caps, baies et rivières ; plus au large, il traça plusieurs îles dans l’une desquelles il plaça un lac. Pendant cette démonstration, il avait soin de nous indiquer les points où