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VOYAGE DANS LES RÉGIONS ARCTIQUES.

boréale de cette partie du continent américain, et que la côte se dirigeait à l’ouest, nous causa la plus vive satisfaction. La vaste étendue de mer libre de toutes terres que nous découvrions depuis le cap Félix, nous confirmait dans l’espoir de pouvoir relever entièrement, pendant la saison suivante, la côte boréale de l’Amérique. Désirant acquérir la certitude la plus complète que je n’étais pas induit en erreur par quelque vaste enfoncement des terres, je consacrai le reste du jour à examiner les lieux le plus minutieusement qu’il me fut possible. On comprendra sans peine combien il me coûtait de revenir sur mes pas avant d’avoir atteint le but principal de l’expédition, qui était en quelque sorte à notre portée ; mais il faut s’être trouvé en pareilles circonstances pour comprendre toute l’intensité de ce regret. Notre éloignement du cap Turnagain n’était pas plus grand que l’espace que nous avions parcouru depuis le navire. Avec quelques jours de plus à notre disposition, nous retournions triomphans à bord et rapportions en Angleterre un résultat vraiment digne de nos longs et pénibles travaux.

« Mais ces jours, nous ne les avions pas ; ce n’était pas le temps qui nous manquait, mais bien les moyens d’existence. Nous n’avions pris avec nous que pour vingt et un jour de vivres, et plus de la moitié était déjà consommée ; il nous avait fallu treize jours pour atteindre le point où nous nous trouvions, et nous n’y aurions même pas réussi sans les retranchemens que nous avions faits sur nos rations ; car nous n’avions compté que sur onze jours de marche en avant. Force était donc de se soumettre, et quoi qu’il m’en coûtât de prendre une pareille résolution, je me déterminai à retourner sur nos pas. Nous estimions notre éloignement du navire à deux cents milles par le plus court chemin, et il nous restait tout au plus pour dix jours de vivres.

« Après avoir déployé notre pavillon et pris possession avec les cérémonies d’usage de tout l’espace que nous avions en vue, nous élevâmes un monticule de pierres haut de six pieds dans lequel nous plaçâmes une boîte contenant un exposé succinct des travaux de l’expédition depuis son départ d’Angleterre. L’usage l’exigeait ainsi, et nous devions nous y conformer, quoique nous n’eussions pas le plus léger espoir que cette courte relation tombât jamais entre des mains européennes, quand même elle eût pu échapper à celles des Esquimaux. Combien n’eussions-nous pas été encouragés à ce travail, si nous eussions su qu’en ce moment nous passions pour des hommes perdus, et que notre ancien et fidèle ami le capitaine Back était sur le point de partir à notre recherche pour nous rendre à la société et à nos familles ! Et s’il n’est pas impossible que dans le cours de son exploration actuelle depuis le cap Turnagain à l’est,