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ANDRÉ.

puis bien des jours elle n’avait plus le courage de travailler. Elle s’efforcait en vain de se mettre à l’ouvrage : de violentes palpitations l’oppressaient dès qu’elle se penchait sur sa table, et sa main tremblante ne pouvait plus soutenir le fer ni les ciseaux. La lecture lui faisait plus de mal encore. Son imagination trouvait à chaque ligne un nouveau sujet de douleur. Hélas ! se disait-elle alors, c’était bien la peine de m’apprendre ce qu’il faut savoir pour sentir le bonheur !

Elle pleurait depuis une heure à sa fenêtre, lorsqu’elle vit venir Henriette. Elle eut envie de se renfermer et de ne pas la recevoir ; mais il y avait long-temps qu’elle évitait son amie, elle craignit de l’offenser ou de l’affliger, et se hâtant d’essuyer ses larmes, elle se résigna à cette visite.

Mais au lieu de venir l’embrasser comme de coutume, Henriette entra d’un air froid et sec, et tira brusquement une chaise sur laquelle elle se posa avec raideur. — Ma chère, lui dit-elle après un instant de silence consacré à préparer sa harangue et son maintien, je viens te dire une chose.

Puis elle s’arrêta pour voir l’effet de ce début.

— Parle, ma chère, répondit la patiente Geneviève.

— Je viens te dire, reprit Henriette en s’animant peu à peu malgré elle, que je ne suis pas contente de toi : ta conduite n’est pas celle d’une amie. Je ne te parle pas de tes devoirs envers la société : tu foules aux pieds tous les principes ; mais je me plains de ton ingratitude envers moi qui me suis employée à te servir et à te rendre heureuse. Sans moi tu n’aurais jamais eu l’esprit de décider André à t’épouser, et si tu deviens jamais madame la marquise, tu pourras bien dire que tu le dois à mon amitié plus qu’à ta prudence. Tout ce que je te demande, c’est de rester avec lui, et de me laisser Joseph.

— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? demanda Geneviève avec un dédain glacial.

— Je veux dire, s’écria Henriette en colère, que tu es une petite coquette, hypocrite et effrontée ; que tu n’as pas l’air d’y toucher, mais que tu sais très bien attirer et cajoler les hommes qui te plaisent. C’est un bonheur pour toi d’être si méprisante et d’avoir le cœur si froid ; car tu serais, sans cela, la plus grande dé-