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AU-DELÀ DU RHIN.

d’elle-même de vivans témoignages : la guerre, la politique et la tribune ne connaissent que le succès et la puissance.

Il y a dans la vie de la Prusse une contradiction qu’il faut saisir : c’est un état nouveau cherchant à s’appuyer sur de vieilles mœurs. Ainsi en 1808, une ordonnance organisa le régime municipal (Statdteordnung) ; elle établit en principe que les intérêts municipaux seraient gérés par la bourgeoisie elle-même, et que cette gestion serait confiée à une assemblée de députés représentant la commune ; vingt-trois ans après, une autre ordonnance révisa la première (revidirte Statdteordnung, 17 mars 1831), et donna beaucoup plus d’empire aux coutumes particulières, à ce qui dans chaque ville et chaque province se trouve différent et individuel[1]. Mais la vie générale de l’état est un problème plus sérieux pour la Prusse ; voici ses embarras :

La monarchie prussienne est composée de pièces de rapport jointes ensemble par la conquête ; le Brandebourg est le berceau et le siége de la monarchie, mais il n’en est pas le centre. Berlin est une métropole isolée qui reçoit avec orgueil les hommages de sujets lointains. La capitale est trop aux extrémités de la monarchie et de l’Allemagne ; dans cette position, l’unité de l’état est tout entière dans la main d’un roi militaire. Figurez-vous une tribune à Berlin, un forum, une arène qui réunirait le Silésien et l’homme des bords du Rhin, l’habitant de Mémel et celui de Clèves ; quelle collision ! La faiblesse de la monarchie serait trahie sur-le-champ : il est de la destinée de la Prusse si intelligente et si instruite de ne pouvoir tolérer le gouvernement de la parole et de la liberté.

En vain le prince de Hardenberg présenta à la signature du roi l’octroi d’une constitution représentative, il ne put triompher des ajournemens de la royauté, qui n’avait pas tort dans sa répugnance.

Chaque état a sa loi ; la Prusse est faite pour la guerre et la science, mais non pour la tribune.

Il est impossible de tourner cette difficulté avec plus d’art que

  1. Voyez dans l’Historiche politische zeitschrift von Ranke, un travail de M. de Savigny, intitulé : Die Preussische-Staedtordnüng.