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REVUE. — CHRONIQUE.

M. Thiers a discuté, point à point, toutes les objections ; il a nommé les généraux, fait manœuvrer les corps d’armée, pris les villes ; il ne manquait qu’une carte d’Espagne sur la table, encore s’est-on levé pour la consulter. Au dessert, don Carlos était expulsé, et nos troupes établies dans les places fortes de la Navarre et de la Catalogne. La désunion règne cependant encore dans le conseil, et M. de Broglie lui-même continue de tenir tête à M. Guizot.

De tout ceci, il résultera peut-être une démission de M. de Broglie, démission que le roi et M. Thiers désirent en secret. Les doctrinaires seraient encore affaiblis dans le cabinet, et le maréchal Maison serait porté à la présidence du conseil. Le roi et M. Thiers désirent la présidence du maréchal Maison, par le même motif. Ils espèrent, l’un et l’autre, gouverner avec lui, par lui, et sans lui ; et c’est ce qu’on ne peut faire avec M. de Broglie, qui se soumet souvent, presque toujours, mais qui se sent atteint parfois de quelques velléités de présidence.

M. Thiers ne part pas de si haut que M. Guizot. Il veut envoyer nos troupes en Espagne, et risquer une intervention dans ce pays, parce que c’est, dit-il, une diversion utile. On occupera les soldats, on distraira le pays, on fera de l’avancement aux officiers ; en un mot, ce sera un exutoire. M. Thiers veut dire sans doute un exutoire pour notre argent, car l’Espagne nous doit encore les frais de l’expédition qui a rétabli Ferdinand vii sur le trône où chancelle aujourd’hui sa fille.

Le roi, qui voit avec peine l’obstination de M. Thiers, l’a emmené un jour, tout un jour, à Versailles, dans l’espoir de le faire revenir à des idées plus pacifiques. Les bosquets de Versailles, qui ont encore les échos des conversations politiques de Louis xiv et de Colbert, ont vu Louis-Philippe et M. Thiers s’asseoir sous leurs ombrages à la place où furent peut-être discutées les chances de la guerre de la succession, pour raisonner de cette nouvelle guerre d’Espagne. Il paraît toutefois que ces deux grands et habiles discoureurs n’ont pas réussi à se convertir l’un l’autre, car on les a vus revenir avec leurs opinions respectives. Dans cet état de choses, on attend le retour du courrier expédié au ministère anglais ; on aura par la même occasion l’avis de M. Sébastiani, cette vieille et caduque nymphe Égérie, qui souffle ses oracles, tantôt de Naples et tantôt de Londres.

Pendant ce temps, le roi consulte tous les militaires qui viennent au château et il a appelé près de lui quelques-uns de ceux qui n’ont pas coutume de s’y rendre, particulièrement les généraux qui ont fait la guerre en Espagne. Dans les réceptions même, on le voit conférer avec eux dans l’embrasure d’une croisée, et on l’entend dire : « Nous autres généraux, qui avons vu des batailles, et qui avons commandé, nous ne décidons pas si légèrement la guerre ; » épigramme qui va droit à M. Thiers, lequel ne s’en émeut nullement.

Il faut dire que la position de M. Thiers est très favorable et vraiment importante dans ce ministère. Le roi et les ministres, sans en excepter un, sentent que, si l’on ne peut encore renverser le pouvoir des doctrinaires, il serait, d’un autre côté, impossible de composer un cabinet pris uniquement dans le parti de la doctrine. La chambre le repousserait, et le roi