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HISTOIRE ET PHILOSOPHIE DE L’ART.

adopter à la lettre l’unanime suffrage de l’Angleterre, il y a sans doute au fond de cet éclatant succès autre chose que de l’engouement. Le tableau de cette année est un Christophe Colomb. Cet ouvrage n’est pas excellent, il s’en faut de beaucoup ; mais il offre, comme les ouvrages précédens de l’auteur, une étonnante réunion de qualités remarquables : l’animation des physionomies, la simplicité naturelle des attitudes, la vérité de la mise en scène, voilà ce qui recommande à notre attention cette toile où la critique doit cependant signaler plusieurs défauts assez graves.

Christophe Colomb, le compas à la main, explique sur une carte, au prieur du couvent de Santa-Maria Rabida, la théorie sur laquelle il fonde ses espérances. À droite du prieur Garcia, Fernandez, médecin érudit, capable de comprendre les plus hardies conjectures, écoute avec une attention respectueuse les paroles qui se pressent sur les lèvres du navigateur génois ; derrière lui Martin Alonzo Pinzon rêve à la gloire de l’entreprise qu’il aida de son courage, et qu’il trahit ensuite lâchement ; à gauche de Christophe Colomb, son fils Diego, âgé de huit ans, se tient debout, et regarde la carte avec une curiosité distraite. Tout cela est bien entendu, chacun est à sa place, et pas un des acteurs ne manque à son rôle. La tête de Colomb est grave et pensive, celle du prieur intelligente et rusée, celle de Garcia attentive et sérieuse, celle de Pinzon ardente comme au milieu des combats, qu’elle semble appeler. Mais le dessin de ces têtes manque de largeur et d’unité ; les coups de pinceau, multipliés à l’infini, donnent à l’ensemble de la toile un caractère petit et mesquin. Sans doute les physionomies qui sont devant nous ont préexisté dans le cerveau de Wilkie, telles que nous les voyons aujourd’hui ; il faut laisser aux artistes médiocres le reproche d’inconséquence et d’instabilité ; mais en admettant la permanence et la continuité de cette création, nous ne perdons pas le droit de blâmer ce qu’il y a dans l’exécution de successif, de mou, et parfois même de trivial.

La peinture du Christophe Colomb, bourgeoise et petite, ramène à de mesquines proportions une scène qui devrait avoir de la grandeur et de la solennité. Je mettrai toujours la vérité humaine au-dessus du style convenu ; je n’hésiterai jamais à proclamer la supériorité des Flamands sur les tragédies académiques des Petits-Augus-