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tins. Mais qu’on y prenne garde, le réalisme de Rembrandt n’est pas l’art tout entier ; l’éternelle beauté de ses ténèbres lumineuses n’absout pas la bourgeoisie délibérée de quelques-unes de ses compositions. Son Ganymède ravi aux cieux par l’aigle de Jupiter est d’une prodigieuse énergie ; mais il manque à cette figure l’idéalité poétique : on dirait un marmot mordu par un loup. Il échappe, je le sais, à la vulgarité par l’éclat inimitable de sa couleur ; mais voir dans Rembrandt le modèle achevé de toutes les perfections, c’est se méprendre étrangement. Or, il y a loin du Ganymède ou du Tobie au Christophe Colomb. La manière de Rembrandt est large et une ; celle de Wilkie, s’il fallait la caractériser d’après ce dernier ouvrage, est timide, lente, et ne va pas droit au but marqué. Wilkie a été souvent comparé à Decamps ; je ne crois pas que le parallèle soit juste. Le peintre anglais n’atteindra jamais à la Bataille des Cimbres, et la pâte de sa peinture n’a pas la richesse et l’abondance qui assurent au peintre français un rang inaliénable. Je rapprocherais plus volontiers Wilkie de Charlet ; je trouve chez tous les deux la même finesse de détails, la même curiosité patiente dans l’expression des physionomies, et aussi la même absence de largeur dans la manière, et de concentration dans l’effet.

Le Départ des troupeaux dans les monts Grampiens, par E. Landseer, est au nombre des meilleurs ouvrages de l’auteur. Les groupes d’animaux et de personnages sont habilement disposés et offrent à l’œil des lignes harmonieuses. Il est impossible, en voyant ce tableau, de ne pas penser aux Pécheurs de Léopold Robert. Les sentimens exprimés dans ces deux compositions sont unis entre eux par une étroite parenté. La scène écossaise et la scène vénitienne sont destinées à représenter la douleur de la séparation et la prévision du danger ; mais je préfère la scène écossaise. E. Landseer n’a rien trouvé d’aussi émouvant, d’aussi religieusement résigné, que la jeune femme placée à gauche de la toile de Robert ; mais l’ensemble de la composition de Landseer est plus heureux et plus complet. Au centre, un montagnard d’une taille vigoureuse, à qui sa femme présente son enfant au maillot, et dont la figure offre un poétique mélange de courage et de mélancolie ; à droite de ce groupe, un vieillard qui repasse dans sa mémoire toutes les courses de sa jeunesse, et qui assiste avec une tristesse prévoyante au départ