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André d’un air froid et craintif. C’était la première fois qu’il essayait d’avoir une explication avec son père. Le marquis fut si surpris, qu’il leva les yeux et toisa André de la tête aux pieds. Il pressentit en un instant le sujet de cette démarche, et la colère s’alluma dans ses veines avant que son fils eût dit un mot. Tous deux gardèrent le silence, puis le marquis s’écria : — Allons, tonnerre de Dieu ! êtes-vous venu ici pour me regarder le blanc des yeux ? parlez, ou allez-vous-en.

— Je parlerai, mon père, dit André, à qui le sentiment de l’offense donnait un peu de courage. Je viens vous déclarer que je suis amoureux de Geneviève la fleuriste, et que mon intention est de l’épouser, si vous voulez bien m’accorder votre consentement…

— Et si je ne l’accorde pas, s’écria le marquis en se contenant un peu, que ferez-vous ?

— J’essaierai de vous fléchir ; et si je ne le peux pas…

— Eh bien ?

André resta cinq minutes sans répondre. Les yeux étincelans de son père le tenaient en arrêt comme le lièvre fasciné sous le regard du chien de chasse, qui n’ose faire un mouvement. — Eh bien ! monsieur l’épouseur de filles, dit le marquis d’un ton moqueur et méprisant, que ferez-vous, si je vous défends de mettre les pieds hors de la maison d’ici à un an ?

— Je désobéirai à mon père, répondit André en s’animant, car mon père aura agi avec moi d’une manière injuste et insensée.

Rien au monde ne pouvait irriter le marquis plus que les paroles et le maintien de son fils. Un caractère plus hardi et plus souple aurait su flatter cet orgueil impérieux et brutal : mais André n’avait pas le courage de caresser un si rude animal. Tout ce qu’il pouvait, c’était de faire bonne contenance devant lui, et de ne pas s’abandonner à la tentation de fuir son aspect terrifiant.

— Ah ! nous y voilà ! dit le marquis en grinçant des dents et en se frottant les mains : voilà où nous devions en venir ! Eh bien ! qu’il en arrive ce qu’il plaira à Dieu, pleurez, maigrissez, mourez ; aussi bien, les sots comme vous ne sont pas dignes de vivre : mais certainement vous n’aurez pas mon consentement. Vous attendrez