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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

der avec vos faces fraîches et vermeilles ! ô ma petite sauge du Tyrol ! ô mes heures de solitude, les seules de ma vie que je me rappelle avec délices !

Mais toi, idole de ma jeunesse, amour dont je déserte le temple à jamais, adieu ! Malgré moi, mes genoux plient et ma bouche tremble en te disant ce mot sans retour. Encore un regard, encore l’offrande d’une couronne de roses nouvelles, les premières du printemps, et adieu ! C’est assez d’offrandes, c’est assez de prosternations ! Dieu insatiable, prends des lévites plus jeunes et plus heureux que moi, ne me compte plus au nombre de ceux qui viennent t’invoquer. — Mais il m’est impossible hélas ! en te quittant, de te maudire ; ô tourmens et délices ! je ne peux même pas te jeter un reproche ; je déposerai à tes pieds une urne funéraire, emblème de mon éternel veuvage. Tes jeunes lévites la jetteront par terre en dansant autour de ta statue, ils la briseront et continueront d’aimer. Règne, amour, règne, en attendant que la vertu et la république te coupent les ailes.

20 avril.

Qu’as-tu donc ? et pourquoi tant de tristesse parfois dans ton ame ? Pourquoi dis-tu que le Seigneur s’est retiré de toi ? Pourquoi demandes-tu au plus faible et au plus insoumis de ses enfans de te venir en aide et de t’encourager ? Maître, qu’avez-vous rêvé cette nuit, et pourquoi vos disciples, accoutumés à recevoir de vous la manne de l’espérance, vous trouvent-ils abattu et tremblant ?

Hélas ! tu trouves que c’est bien long à venir, l’accomplissement d’une grande destinée ? Les heures se traînent, ton front se dégarnit, ton ame se consume ; et le genre humain ne marche pas. Tes grands désirs se heurtent contre les murs d’airain de l’insensibilité et de la corruption. Tu te vois seul, pauvre homme de bien, au milieu d’un monde d’usuriers et de brutes. Tes frères dispersés et persécutés te font entendre de loin la voix mourante de l’héroïsme que l’avarice et la luxure étouffent dans leurs bras hideux. Encore un peu de temps peut-être, et la triste innocence va périr sous le vice dont les hommes ne rougissent plus. Voilà