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Quand la révolution d’Amérique éclata, le dogme de la souveraineté du peuple sortit de la commune, et s’empara du gouvernement ; il devint la loi des lois.

L’abolition de la législation anglaise sur la transmission des héritages acheva de briser les influences locales qui auraient pu lutter contre les progrès de la démocratie. Les hautes classes, trop faibles pour arracher l’empire des mains du peuple, ne songèrent plus qu’à gagner sa bienveillance.

À mesure que le temps, les évènemens et les lois ont développé le régime démocratique, l’aisance est devenue plus facile, plus générale, et la richesse aussi plus rare. Il en est résulté que l’égalité des conditions s’est étendue, jusqu’à un certain point, sur les intelligences elles-mêmes. Presque tous les citoyens, ayant besoin d’exercer une profession, entreprennent des études spéciales et lucratives. Aucun pays ne renferme aussi peu de savans et d’ignorans que l’Amérique. L’instruction primaire y est à la portée de chacun, l’instruction supérieure n’y est à la portée de personne. Ainsi, de nos jours, l’élément aristocratique, toujours faible depuis sa naissance, est affaibli de telle sorte qu’il est impossible de lui assigner une influence quelconque dans la marche des affaires.

Le dogme de la souveraineté du peuple aux États-Unis n’est point une doctrine isolée qui ne tienne ni aux habitudes, ni à l’ensemble des idées dominantes ; on peut, au contraire, l’envisager comme le dernier anneau d’une chaîne d’opinions qui enveloppe le monde anglo-américain tout entier.

La Providence a donné à chaque individu le degré de raison nécessaire pour qu’il puisse se diriger lui-même dans les choses qui l’intéressent exclusivement. Telle est la grande maxime sur laquelle repose la société civile et politique de ce continent. Le père de famille en fait l’application à ses enfans, le maître à ses serviteurs, la commune à ses administrés, la province aux communes, l’état aux provinces, l’Union aux états. Étendue à l’ensemble de la nation, elle est la plus haute expression de la souveraineté du peuple. Ainsi, le principe générateur de la république est le même qui règle la plupart des actions humaines. La religion du plus grand nombre est également républicaine, puisqu’elle soumet les vérités de l’autre monde à la raison de chacun, comme la politique abandonne au bons sens de tous les intérêts de celui-ci.

Toutes les institutions qui découlent de cette autorité universellement admise de la raison individuelle ont pris naissance dans l’état. C’est donc l’état qu’il faut connaître pour avoir la clef de tout le reste. Au premier degré se trouve la commune, plus haut le comté, enfin l’état.