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quer de justesse. Dans tous les gouvernemens possibles, l’envie tourmente les classes élevées de la société avec d’autant plus d’énergie, qu’elles se proposent un but plus personnel et plus frivole. Que peut ajouter la démocratie à ce vice du cœur humain ? Nous concevons qu’elle multiplie le nombre des envieux quand elle donne aux classes émancipées de nouvelles forces, sans savoir en régler l’emploi ; mais elle leur offre en même temps des moyens moins dangereux de se satisfaire. C’est encore dans ces classes que l’admiration, ce penchant si contraire aux souffrances égoïstes de l’amour-propre, exerce naturellement le plus d’empire. Si le sentiment religieux du devoir et du droit dominait vraiment une société, ne serait-ce pas une raison pour que chacun s’y tenant à sa place, l’envie n’y figurât que par exception ? Nous sommes bien loin de prétendre que l’Amérique ou la France soient arrivées à cette perfection si désirable ; cependant les infirmités d’un état transitoire, plus ou moins durable, ne prouvent pas que la démocratie soit incapable de se perfectionner.

Il est à regretter que M. de Tocqueville n’ait pas été conduit par ses études à s’occuper des lois financières des États-Unis et de leurs établissemens de crédit, que nous avons tant d’intérêt de connaître. S’il eût appliqué son excellent esprit à cette recherche, il ne se serait pas inquiété de la disposition des pauvres à rejeter l’impôt sur les riches, car les neuf dixièmes du revenu fédéral se composant des contributions indirectes de la douane, et l’impôt direct étant fort peu en usage dans les communes et les comtés, un pareil système ne permet guère à une classe de se dégrever aux dépens d’une autre.

D’un autre côté, les informations que nous avons prises ne nous permettent pas de croire que les grands travaux publics, aux États-Unis, soient plus mal dirigés ou plus souvent interrompus que les nôtres ne le sont. Il suffira, pour repousser cette assertion, de renvoyer nos lecteurs à l’ouvrage récemment publié par un Français, M. Poussin, ex-major au corps du génie américain. Deux canaux, complétant une ligne de navigation de plus de mille lieues, exécutés en huit années, prouvent assez combien de tels exemples pourraient nous être profitables pour tout ce qui est relatif à de semblables entreprises[1].

M. de Tocqueville convient lui-même que le pauvre d’Amérique est riche en comparaison de celui d’Europe ; qu’il paie au fisc une moindre portion de son salaire ou de son revenu, et qu’en aucun pays on ne voit des routes mieux entretenues, des écoles et des temples en meilleur état.

  1. Travaux d’améliorations intérieures, projetés ou exécutés par le gouvernement des États-Unis, de 1824 à 1831, par M. Poussin ; 1 vol. in-8o avec atlas.