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DE LA DÉMOCRATIE AMÉRICAINE.

Pourquoi donc ajoute-t-il que le gouvernement américain ne peut être à bon marché ? Il nous semble que M. de Tocqueville enveloppe ici dans une même prévention le principe trop dédaigné du bon marché avec le principe étroit d’un aveugle et continuel rabais. Sans doute la majorité peut engager tout un pays dans des travaux qu’elle a intérêt à exécuter elle-même ; mais lorsqu’elle en supporte aussi les frais, probablement ces travaux profitent à tout le monde. Il y a moyen d’employer de la sorte des sommes énormes en faisant un très bon marché.

Nous ne reviendrons pas sur des chiffres que nous avons publiés dans cette Revue, en faisant voir, d’après des documens que M. Livingston avait bien voulu nous confier, que dans six états tous les genres de contributions s’élevaient à environ 15 fr. par tête,[1]. M. de Tocqueville a trouvé un chiffre plus élevé dans le seul état de Pensylvanie. Ces diverses conjectures ont fort peu d’importance. La comparaison de l’assiette et de l’emploi reproductif des impôts dans les deux pays, voilà ce qui méritait un sérieux examen. Sous ces rapports, l’Amérique a des avantages qui ne tiennent pas seulement aux heureuses circonstances de sa situation matérielle, mais à la sagesse de son gouvernement.

Quand M. de Tocqueville signale les dangers de l’instabilité législative des États-Unis, il est bon de savoir quelles sortes de lois peuvent être ainsi compromises par de fâcheux entraînemens. Or, il reconnaît dans son ouvrage que les fondemens de la constitution fédérale ont toujours été respectés, et que les Américains, après avoir si souvent changé leurs lois politiques, n’ont pu introduire que de légères modifications dans leurs lois civiles les plus vicieuses, parce qu’en pareille matière, l’opinion conservatrice des légistes avait dû prévaloir. Ne faut-il pas en conclure que les lois secondaires sont seules exposées à l’inconstance de la majorité ? Si cette chance de désordre ainsi limité est encore un mal, n’oublions pas que depuis quarante-cinq ans la France a changé huit fois de rois héréditaires et neuf fois de constitutions, à travers les plus sanglans désordres, tandis que les États-Unis n’ont eu que sept présidens sous l’empire pacifique de la même constitution. Nous savons bien que notre position et nos antécédens ne sont point ceux de l’Amérique ; nous rappelons seulement, comme un fait incontestable, que chez nous l’instabilité législative se manifeste à la fois dans les lois constitutionnelles, dans les lois politiques et dans les lois administratives, dont l’immense recueil renferme tant de contradictions.

L’étendue de ces critiques ne nous permet pas de faire connaître tout ce

  1. Revue des deux Mondes, 1er mars 1834.