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REVUE. — CHRONIQUE.

qu’il est impossible d’avoir un ministre plus éveillé et plus actif que celui qu’elle possède dans la personne de Louis-Philippe !

Mais avant d’aller plus loin, nous devons reconnaître publiquement une erreur que nous avons commise dans notre dernière chronique, et dire que nos informations, ordinairement assez exactes, on l’a pu voir, nous avaient trompés sur un point qui n’est pas sans importance. Il s’agit de l’opinion de M. Guizot au sujet de l’intervention. On croyait généralement que M. Guizot était enrôlé sous la bannière de M. Thiers en cette circonstance, et qu’il avait poussé, avec lui, ce cri de guerre qui avait tant offusqué les oreilles du roi. Nous le pensions aussi ; et en cela nous faisions tort à M. Guizot. Jusqu’au dernier moment, au contraire, c’est-à-dire jusqu’au jour de la réponse de l’Angleterre, M. Guizot a eu le courage, on pourrait dire la témérité, de n’avoir pas d’avis sur l’intervention. Dans le conseil, au château et dans les salons ministériels, M. Guizot s’abstenait de formuler une opinion, de répondre par une décision à toutes les incertitudes qui s’adressaient à lui. De là notre erreur. Dans l’intimité seulement, M. Guizot émettait de hautes et solides raisons contre une intervention en Espagne ; mais il ajoutait aussitôt que les raisons contraires étaient bonnes et solides aussi, et qu’il fallait les entendre. Dans une affaire aussi importante que celle-ci, où tous les intérêts de l’Europe se trouvent en question, ajoutait-il, il ne savait pas se décider avant l’heure, tant la réflexion lui semblait nécessaire ; il attendrait donc le moment de signer la délibération du conseil pour avoir une opinion arrêtée, et, jusque-là, il était prêt à discuter pour et contre, avec une égale bonne foi. Pendant ce temps, M. Thiers marchait chevaleresquement à la conquête de l’Espagne, tambour battant et enseignes déployées, et portant en croupe, pour toute armée, son jeune collègue M. Duchâtel. Fidèle à ses engagemens politiques, M. Guizot annonçait hautement toutefois l’intention de se retirer si M. Thiers quittait le ministère ; et M. Thiers déclarait, de son côté, qu’il remettrait son portefeuille si l’intervention n’était pas adoptée. Ainsi M. Guizot serait sorti du cabinet par le fait même de l’adoption de ses principes, car on n’en peut douter, sous le voile dont il couvrait sa pensée, M. Guizot était opposé à un acte d’intervention en Espagne.

M. Guizot faisait circuler sa pensée par M. de Broglie, ainsi qu’autrefois les hauts barons faisaient porter leur lance par un écuyer. M. de Broglie parlait hautement contre l’intervention, si hautement que, vu les réticences de M. Guizot, on crut un moment à la séparation de ces deux anciens amis politiques ; mais M. de Broglie parlait