phie des terres héréditaires de Morand, et celle des propriétés de même genre apportées en dot par sa femme. Il choisit en lui-même le plus beau champ parmi ces dernières, et pria le marquis de l’y conduire, sans rien laisser soupçonner de son intention.
— On m’a dit que vous aviez planté cela d’une manière splendide ; si ce n’est pas abuser de votre complaisance, allons un peu de ce côté-là. — Le marquis fut charmé de la proposition : rien ne pouvait le flatter plus que d’avoir à montrer ses travaux agricoles. Ils se mirent donc en route : chemin faisant, Joseph s’arrêta sur le bord d’une traîne, comme frappé d’admiration. — Tudieu ! quelle luzerne ! s’écria-t-il ; est-ce de la luzerne, voisin ? quel diable de fourrage est-ce là ? C’est vigoureux comme une forêt, et bientôt on s’y promènera à couvert du soleil.
— Ah ! dit le marquis, je suis bien aise que tu voies cela ; je te prie d’en parler un peu dans le pays : c’est une expérience que j’ai faite, un nouveau fourrage essayé pour la première fois dans nos terres.
— Comment cela s’appelle-t-il ?
— Ah ! ma foi, je ne saurais pas te dire ; cela a un nom anglais ou irlandais que je ne peux jamais me rappeler : la société d’agriculture de Paris envoie tous les ans à notre société départementale (dont tu sais que je suis le doyen) différentes sortes de graines étrangères. Ça ne réussit pas dans toutes les mains.
— Mais dans les vôtres, voisin, il paraît que ça prospère. Il faut convenir qu’il n’y a peut-être pas deux cultivateurs en France qui sachent, comme vous, retourner une terre et lui faire produire ce qu’il vous plaît d’y semer. Vous êtes pour les prairies artificielles, n’est-ce pas ?
— Je dis, mon enfant, qu’il n’y a que ça, et que celui qui voudra avoir du bétail un peu présentable, dans notre pays, ne pourra jamais en venir à bout sans les regains. Nous avons trop peu de terrain à mettre en pré, vois-tu ; il ne faut pas se dissimuler que nous sommes secs comme l’Arabie ; ça aura de la peine à prendre : le paysan est entêté et ne veut pas entendre parler de changer la vieille coutume. Cependant ils commencent à en revenir un peu.
— Parbleu ! je le crois bien ; quand on voit au marché des bœufs comme les vôtres, on est forcé d’y faire attention. Pour moi, c’est