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ANDRÉ.

— Qui se consomment dans la maison, sans compter le vin d’Issoudun.

— Eh bien ! nous retrancherons le vin d’Issoudun : vous vendrez six pièces de votre crû, et vous couperez le reste avec de l’eau de prunes sauvages ; ce qui vous fera douze pièces de bonne piquette bien verte, bien rafraîchissante.

— Va-t’en à tous les diables avec ta piquette ! je n’ai pas besoin de me rafraîchir : ne me parle pas de cela. À mon âge, être dépouillé, ruiné, réduit aux plus affreuses privations ! Un père qui s’est sacrifié pour son fils dans toutes les occasions, qui s’arrache le pain de la bouche depuis trente ans ! Que faire ? Si j’allais le trouver, et lui appliquer une bonne volée de coups de bâton ? Qu’en penses-tu, Joseph ?

— Mauvais moyen ! dit Joseph ; vous l’aigririez contre vous, et il ferait pire : il faut tâcher plutôt de le prendre par la douceur, entrer en arrangement, le rappeler auprès de vous.

— Eh bien ! oui, dit le marquis, qu’il revienne demeurer avec moi ; qu’il abandonne sa Geneviève, et je lui pardonne tout.

— Généreux père ! je vous reconnais bien là : mais qu’il abandonne sa Geneviève ! abandonner sa femme ! c’est chose impossible : il serait capable de m’étrangler si j’allais le lui proposer.

— Mais c’est donc un vrai démon que ce morveux-là ! dit le marquis en frappant du pied.

— Un vrai démon ! répondit Joseph : vous serez forcé, je le parie, de vous charger aussi de sa sotte de femme et de son piallard d’enfant.

— Il a un enfant, s’écria le marquis : ah ! mille milliards de serpens ! en voilà bien d’une autre !

— Oui, dit Joseph : c’est là le pire de l’affaire. Est-ce que vous ne saviez pas que sa femme est grosse ?

— Ah ! grosse seulement ?

— L’enfant n’est pas né, mais c’est tout comme. André est si glorieux d’être père, qu’il ne parle plus d’autre chose ; il fait mille beaux projets d’éducation pour monsieur son héritier. Il veut aller se fixer à Paris avec sa famille. Vous pensez bien que, dans de pareilles circonstances, il n’entendra pas facilement raison sur la succession.