Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 2.djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
89
ANDRÉ.

se garder d’accepter cette première proposition de ton père, sans arracher de son avarice quelque chose de mieux : une pension alimentaire au moins, et une moitié de ton revenu, s’il est possible.

— Mais par quel moyen ? dit André ; je ne puis avoir recours aux lois, sans que Geneviève en soit informée ; tu ne connais pas sa fermeté ; elle est capable de me haïr, si je viole sa défense.

— Aussi, reprit Joseph, faut-il lui cacher soigneusement mes démarches, et me laisser faire.

André s’abandonna à la prudence et à l’adresse de son ami ; trop faible pour combattre son père, et trop faible aussi pour empêcher un autre de le combattre en son nom. Toujours effrayé, inerte et souffrant entre le bien et le mal, il retourna auprès de sa femme, feignit de partager son contentement, et s’endormit fatigué de la vie, comme il s’endormait tous les soirs.

Quelques jours s’écoulèrent avant que Joseph pût revoir le marquis. Une foire considérable avait appelé le seigneur de Morand à plusieurs lieues de chez lui, et il ne revint qu’à la fin de la semaine. Il rentra un soir, s’enferma dans sa chambre, et déposa, dans une cachette à lui connue, quelques rouleaux d’or, provenant de la vente de ses bestiaux. — Ceux-là, dit-il, en refermant le secret de la boiserie, on ne me les arrachera pas de si tôt ; il revint s’asseoir dans son fauteuil de cuir, et s’essuya le front avec la douce satisfaction d’un homme qui ne s’est pas fatigué en vain. En ce moment, ses yeux tombèrent sur une petite lettre d’une écriture inconnue qu’on avait déposée sur sa table ; il l’ouvrit, et après avoir lu les cinq ou six lignes qu’elle contenait, il se frotta les mains avec une joie extrême, retourna vers son argent, le contempla, relut la lettre, serra l’argent, et sortit pour commander son souper d’un ton plus doux que de coutume. Comme il entrait dans la cuisine, il se trouva face à face avec Joseph qui attendait son retour depuis plusieurs heures, et qui était venu pour lui porter le dernier coup ; mais cette fois toutes les batteries du brave diplomate furent déjouées.

— Eh bien ! mon cher, lui dit le marquis, en lui donnant amicalement sur l’épaule une tape capable d’étourdir un bœuf, nous sommes sauvés, tout est réparé, arrangé, terminé, tu sais cela ? c’est toi qui as apporté la lettre ?