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pas lire dans les replis de votre pensée ! Elle a d’immenses salles pleines de cartons rangés par ordre alphabétique. Je crois que toute l’Europe se trouve dans ces cartons. Quand vous arrivez, on y cherche votre nom. S’il n’y est pas encore, on se hâte de l’y mettre, car il est convenu que tout homme qui vient à Vienne doit être noté. S’il s’y trouve, mais sans être accompagné de mauvais signes, c’est bon, vous en serez quitte pour un léger espionnage ; mais s’il est joint à quelque fâcheux renseignement politique, hélas ! vous ne savez pas à quelle active et rigoureuse surveillance vous allez être soumis !

Nous avons connu un jeune écrivain allemand, plein de nobles qualités, à qui la fantaisie vint un jour d’aller à Vienne. Il y apportait, aux yeux de la police, le grand tort d’avoir du talent, et le tort bien plus grand d’avoir, par-ci par-là, lâché, dans un livre ou dans un journal, quelques pages peu flatteuses pour l’Autriche. On le laisse venir ; il loue un appartement pour quelques mois, et prend à son service un domestique que le maître de la maison vint lui-même lui recommander. Il y avait six semaines que ce domestique était chez lui, et il n’avait eu à lui reprocher qu’une lenteur incorrigible chaque fois qu’il lui faisait faire quelque commission. Un jour il l’envoie porter une lettre chez un de ses amis, et il attendait la réponse, lorsqu’il voit tout à coup son ami lui-même qui lui crie d’un air effaré : — Au nom du ciel ! dis-moi donc quelle idée as-tu de m’envoyer une lettre par un homme de la police ? — Je te l’ai envoyée par mon domestique. — Eh bien ! ton domestique est un agent de police en pleine activité, que j’ai vu souvent dans l’antichambre des bureaux, et qui n’a changé de fonctions et de costume que pour obéir à l’ordre de ses chefs, et ne pas te perdre un moment de vue. — En recourant à d’autres informations, le jeune Allemand apprit que l’excessive lenteur dont il avait souvent accusé son domestique ne provenait que de sa ponctualité à porter d’abord à la police toutes les lettres qu’il lui confiait. Il le renvoya le même jour, mais il quitta Vienne.

Parlerons-nous du papier-monnaie, cette autre plaie de la nation, qui va toujours s’élargissant ? parlerons-nous de cette inquisition qui pèse sur tous les journaux, sur tous les livres, et de ces restrictions sévères imposées sur tout ce qui tendrait à instruire le peuple et à l’éclairer. On dit bien que l’Autriche donne de grands encouragemens à l’instruction primaire : oui, mais, passé l’instruction primaire, les entraves se resserrent ; les sentinelles de la censure sont là pour vous mesurer la science d’une main avare. Les cours de haut enseignement ont à redouter tout à la fois et les susceptibilités de la théologie catholique et les interprétations de l’agent politique. L’Autriche n’aime ni les avocats, ni les gens de lettres :