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sages des auteurs anciens qui se rapportent aux différens usages de la vie. Mais il l’a sagement gardé pour lui, et ne l’a point publié, comme Addison l’a fait pour son voyage, qui n’est, à bien prendre, qu’une assez pédantesque et assez faible compilation. Au lieu de cela, Gray nous a donné une ode latine délicieuse, écrite à Tivoli, et qui est tout horatienne pour le mètre et pour la grace. Dans la candeur presque enfantine de son ame, Gray, en arrivant à Rome, est, on le sent d’abord, disposé à tout admirer, presque avant d’avoir rien vu. « L’entrée de Rome, dit-il, est prodigieusement frappante ; la porte est magnifique et dessinée par Michel-Ange. En face, on découvre à la fois deux églises d’une belle architecture… » L’entrée de Rome par la porte du peuple a peu de caractère ; les deux églises n’ont rien de frappant. Quand Gray ajoute que cette première vue a dépassé tout ce que son imagination attendait ; quand il dit que Saint-Pierre, au premier aspect, l’a rempli d’une inexprimable admiration, on peut croire qu’il s’exagère un peu ses impressions présentes, et anticipe sur ses impressions futures. Le premier coup d’œil de Rome, en général, et de Saint-Pierre en particulier, ne produit point l’effet qu’on en attendait ; mais l’impression qu’on reçoit augmente toujours, à mesure qu’on les contemple et les étudie davantage. C’est un fait reconnu de tous les voyageurs, et qu’exprime très bien pour sa part le président Misson. Misson fit le voyage de Rome en 1688, à la fin du xviie siècle ; mais par la tournure indépendante et souvent ironique de sa pensée, il appartient réellement au xviiie. Il était de ces esprits forts de la génération de Bayle, qui devançaient ceux de la génération de Montesquieu et de Voltaire. Il suffit, pour n’en pas douter, de l’entendre parler « de ces fatras d’os et de haillons sacrés qu’on appelle reliques… »

Avant lui on n’avait guère fait, et après lui on n’a encore fait long-temps, en Italie, que des voyages d’érudition. Le président Misson est le seul, entre Montaigne et Duclos, qui ait pris intérêt aux mœurs, aux détails de la vie sociale ; c’était en toutes choses un esprit libre et original. Voici comment il réfute d’avance Gray, en rendant un compte bien plus exact de l’admiration graduelle et progressive que Rome inspire à ceux qui l’admirent véritablement.

« Du premier abord, à regarder Rome en général, on n’y trouve