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PORTRAITS DE ROME.

vait se prêter à l’alliance souvent si étrange de religion et de volupté que fait naturellement le génie italien. Si les pompes catholiques surprennent un moment l’imagination de Goëthe par leur aspect pittoresque, bientôt, comme il le dit lui-même, le péché originel du protestantisme arrête son enthousiasme. Goëthe n’a point senti tout ce côté si attachant de la vie romaine : les cérémonies magnifiques et les solennités naïves, la majesté de la bénédiction pontificale descendant au bruit du canon, au roulement des tambours, au retentissement des fanfares, du balcon de Saint-Jean-de-Latran, ou de Saint-Pierre, sur la ville et le monde, et l’humble hommage rendu à la Madone dans un coin obscur de rue, sous la petite lanterne agitée par le vent, devant la petite grille ornée de fleurs bénies ; les processions de pénitens faisant les stations devant la chapelle du Colysée, ou chantant les litanies des morts, le long de la Voie sacrée ; tous ces accidens de la vie religieuse des Romains, ce cycle annuel de fêtes et de prières, qui à Rome accompagne si bien les ruines et les souvenirs ; tout cela me paraît avoir passé à côté de Goëthe sans l’émouvoir ; il était absorbé par les superbes et savantes merveilles de l’art et de l’antiquité ; il n’y avait plus de place dans son ame pour les émotions religieuses et populaires ; Goëthe n’a point senti le christianisme dans la capitale du monde chrétien ; il faut que ce soit un bien vaste objet pour que l’ame si vaste de Goëthe n’ait pu l’embrasser tout entier.

À cette lacune près, nul esprit n’a mieux saisi, nulle âme n’a mieux goûté l’attrait si multiplié de Rome ; car tout l’intéressait. « L’histoire, les inscriptions, les médailles dont je ne me souciais jusqu’à présent de rien savoir, tout m’envahit ; il m’arrive ici ce qui m’est arrivé dans l’étude de la nature… »

À ce lieu se rattache toute l’histoire du monde… C’est ce qui, dans un autre endroit, lui faisait dire ingénieusement : « L’histoire se lit ici tout autrement qu’en aucun lieu de l’univers. Ailleurs on la lit du dehors au-dedans ; ici, on croit la lire du dedans au-dehors. »

Il dit encore : « Plus on avance loin dans la mer, plus on la trouve profonde ; il en est de même de Rome. » Rien ne caractérise l’aspect général de cette ville avec plus de précision que le passage suivant : « Tandis qu’on marche ou qu’on s’arrête, on découvre un paysage qui se renouvelle sans cesse de mille façons. Ce sont des