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qu’aux splendides vestiges de Dieu. Rome est bien sombre, bien vieille, bien austère, pour le jeune chantre d’Elvire. Ce qu’il lui faut, c’est la plage de Sorrente ou le golfe de Baya, un ciel aussi pur que son ame, des flots aussi mélodieux que ses vers.

Byron aussi est allé à Rome ; il y a conduit son Harold, ce pélerin du désespoir, ce pélerin sans but, plus semblable au Juif éternellement voyageur, et qui va toujours sombre à travers le monde, adorant la nature, détestant l’homme, et cherchant Dieu. Dans ce poème, plus que dans aucun autre, Byron s’est identifié avec son héros, auquel il se substitue sans cesse, et qu’il finit par oublier tout-à-fait.

C’est surtout dans les deux derniers chants qu’il en est ainsi ; c’est là peut-être qu’il a mis le plus de son ame, de son génie et de son malheur. Il les publia six ans après les deux premiers : dans ceux-ci on trouve la mélancolie anticipée d’un jeune homme blasé par les plaisirs avant d’avoir connu les passions, et fatigué de la vie avant d’avoir vécu. Dans les deux derniers chants de Childe-Harold se montre un désespoir plus profond, une tristesse plus invétérée, plus ancrée dans l’ame ; la douleur mûrie par la vie, la lassitude après la passion éprouvée, le découragement après l’action tentée sans fruit. Byron, dans l’intervalle, avait lutté avec tout le monde, et il avait été vaincu. Les convenances, audacieusement bravées, s’étaient vengées cruellement, et la société froide et vaniteuse, dont il fut un instant l’idole, avait, par un hypocrite ostracisme, puni moins les fautes de sa conduite que les dédains de son génie.

C’est avec ce nouveau poids sur le cœur, ce nouveau torrent de fiel dans les veines, qu’Harold reprit sa course à travers les montagnes, les mers et les cités. Il est merveilleux que malgré la torture intérieure qu’il porte partout avec lui, comme un enfer errant, son ame puisse encore s’ouvrir à tant d’impressions diverses de la nature extérieure et des œuvres de l’homme. Il est merveilleux qu’absorbé dans une pensée constante de désespoir, il puisse s’élancer, pour ainsi dire, hors de lui-même, et aller dans le sein des choses chercher la poésie qu’elles contiennent. Mais cependant, malgré cette puissance du génie qui l’enlève par momens au sentiment amer qui le domine et le poursuit, ce sentiment reparaît