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un rêveur gracieux, un conteur plein de charmes : nul ne sait mieux mêler l’imagination à la plaisanterie, et la mélancolie à la gaieté. Cette alliance, qui lui est naturelle, donne un charme particulier au voyage du malade, ou plutôt du convalescent. L’Italie, qu’il adore, lui apparaît comme à travers un crêpe léger, non pas noir, comme pour le deuil, encore moins rose, comme pour une fête, mais d’une nuance indécise, ni éclatante, ni sombre, ni tout-à-fait triste, ni tout-à-fait riante. À mesure qu’il approche du soleil, le réseau étendu devant ses yeux devient de plus en plus transparent, et jette des reflets de plus en plus lumineux ; à mesure que la santé revient à son corps, et la jeunesse à son ame, son imagination semble sortir lentement de l’ombre et se détacher moelleusement dans la demi-teinte, comme une figure du Corrége ; la mélancolie du monde se fond par degrés au soleil du midi ; elle s’évapore à ses rayons, et retombe en brillante rosée de poésie.

Voici l’impression du départ, mélangée de joie et de peine… « Quel transport ! quelle tristesse ! Est-ce bien moi qui étais assis là-bas, dans ces murs, comme enchaîné ?… Oui, la douleur m’a suivi ; elle étend un voile noir sur les champs et les forêts. » Hélas ! oui, la douleur l’accompagne, et c’est d’un cri de douleur qu’il salue Rome, objet de tous ses vœux. « Ainsi la vaste route est franchie ; enfin, enfin le but désiré m’apparaît ; et tandis que je me recueille pour me sentir moi-même, et sentir la grandeur de ce moment, l’image à peine saisie se brise et s’écoule en douleur ; tous les nobles souvenirs s’enfuient devant le présent étroit et oppressant… Combien l’homme est petit ; qu’il est pauvre avec une apparence de richesse !… » Et le malade, au lieu de sentir le ravissement d’être à Rome, va tomber dans les bras de ses amis, et se soulager par ses plaintes ; son ame voudrait s’ouvrir aux charmes des lieux et du ciel, mais l’aiguillon de la douleur vient le réveiller de ses douces rêveries de la villa Borghèse. « Quel charme : l’élégant et le magnifique, l’art et la nature réunis. Je vois donc enfin ce que, jeune garçon, j’avais déjà rêvé ; et maintenant… livré uniquement à la douleur, ces rians ombrages me font mal. Mon rêve s’est enfin accompli, et les dieux jaloux m’envoient ici, pauvre infirme, auquel il manque de pouvoir jouir de son bonheur.

« Comme ces lauriers et ces myrtes me regardent avec tristesse !