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le beau, chacun se moquerait d’elle. Elle fera des journaux et les fera pour le peuple ; elle s’embarrassera peu des formes, du style, de la pensée, de l’originalité, de la perfection ; elle prendra les vices des laquais ; elle sera menteuse, calomniatrice, adulatrice et pillarde ; elle ne sera plus que la servante salariée du bien-être matériel. L’éternelle loi de la nature est renversée ; l’esprit est l’instrument du corps.

La littérature américaine a dû commencer par le journalisme. Chaque maison de poste était le bureau de rédaction d’un journal, imprimé sur papier gris ou jaune, tantôt in-octavo, tantôt in-douze. On y donnait toutes les nouvelles intéressantes : ventes de maisons, arrivée de vaisseaux, formalités judiciaires, achat d’esclaves ; enfin c’étaient des petites affiches. Le journal des États-Unis a toujours marché dans cette voie ; il s’est fait organe des partis, aussitôt que les partis sont nés, mais sans jamais prétendre à aucune force intrinsèque, à aucune valeur littéraire. À l’époque où nous écrivons, les journaux pullulent dans ce pays ; leur nombre menace d’augmenter encore, et les citoyens mêmes de l’Union avouent leur complète nullité[1].

Franklin, dont le nom n’est pas même cité par les auteurs modernes qui se sont occupés de ce qu’ils appellent la littérature des États-Unis[2], est le premier qui, parmi les colons, ait montré quelques-unes des qualités de l’écrivain. Ses Essais, imprimés dans le journal de son frère, se rapprochaient à la fin du style d’Ardisson et de celui de Goldsmith. On y cherchait en vain la naïveté piquante de ce dernier, le Lafontaine irlandais, et le bon ton semi-puritain du Spectateur. L’humour de Franklin était plus humble, plus rustique, plus économique ; elle sentait le marchand et l’artisan ; elle était fort peu littéraire, mais elle offrait le cadre presque complet d’une vie honnête et industrielle ; le Bonhomme Richard a fait le tour du monde.

  1. V. North-American Review, No 60. — Athenœum, Letters on America, etc. — Fenimore Cooper’s Address to his fellow-citizens, etc.
  2. Hamilton, Men and Manners in America, Blackwood’s Mag., february, 1825, etc.