Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/194

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
186
REVUE DES DEUX MONDES.

garde. — « Ah ! ils dorment bien ; et leur réveil n’aura pas besoin de valet-de-chambre. »

« Mais la porte s’ouvre ; on entend une voix perçante ; on voit une forme sépulcrale, une longue robe blanche, des cheveux épars, une femme ; elle s’élance, elle court. — Un bruit dans l’eau ! Tout est dit. — Flots aux crêtes bruyantes, savez-vous ce que vous entraînez dans votre marche triomphale ?

« Il s’agit d’emporter les cadavres ; on les tire de cette chambre dont la lampe va s’éteindre. Leurs funérailles seront sans prières, leur cénotaphe sans amis. Les vagues avides dévorent les cadavres un à un ; elles les dévorent, passent et grondent.

« Encore un ! s’écrie Lee. Il reste un cheval, le beau cheval de guerre que cette femme avait placé sur notre bord. Qu’on aille chercher le cheval ; il est habitué à se laisser monter ; qu’il monte l’Océan et qu’il essaie !

« Le cheval est jeté à la mer. Quel hennissement ! Jamais clameur aussi épouvantable n’a couru d’un bout à l’autre bout de l’horizon. Il monte, il descend ; il hennit toujours ; et l’écho de cette clameur arrive jusqu’à Lee, tantôt sourde, tantôt bruyante. À travers l’onde prismatique, ses prunelles rouges étincellent comme des prunelles de démon irrité. La peur ressemble à de la colère ; il tombe, il remonte, il nage encore ; il n’est pas mort. Oh ! vous entendrez long-temps encore cet épouvantable cri.

« Allons, tout est dit. L’or est à nous. Lavez-moi cette tache. Qui diable repousserait la fortune quand elle se présente ? Enfans, enfans, partageons nos gains. Partageons en frères ; la nuit a été bonne ! »

« On chante, on joue, on rit, on boit ; la joie est sur le vaisseau. Point de prière, peu de sommeil. Le diable est roi. Jack s’écrie : — Mathieu nous trompe ! — Mathieu le frappe au cœur. — C’est mal, reprend un autre. — Mathieu frappe un second coup.

« Eh bien ! dit-il au reste, n’êtes-vous pas contens ? notre part sera meilleure. »


Le boucanier met le feu à son vaisseau ; accompagné de ses complices, il regagne l’île des Forbans.

Un an après, Mathieu Lee, que cette prise a enrichi et qui brave