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classiques parmi nous ; ils ont copié des copies ; ils ont donné la contr’épreuve d’une contr’épreuve. Lorsque la poésie de lord Byron fit naître l’admiration générale, l’anathème énergique de ses vers trouva une foule d’imitateurs dans les États-Unis. À Walter Scott ont succédé plus de cent romanciers sans coloris. Comme ces rhéteurs de collège qui se croient de petits Cicéron par la grace du Flores latinœ locutionis, et de petits Virgile par la faveur spéciale du Gradus, les Américains ont pris des mots pour des idées, et des formes pour des sentimens ; leur littérature est vide ; elle puise sans cesse aux sources européennes, sans atteindre ni la perfection qu’elle imite, ni l’originalité du génie. Chez tous ces poètes américains, l’alouette chante, parce que Shakspeare a fait chanter l’alouette ; malheureusement l’alouette ne chante pas en Amérique : ils sont aussi fort éloquens à propos du rossignol, et l’Amérique n’a jamais entendu le rossignol chanter. C’est un géant dans les langes ; ses bras sont nerveux, sa vigueur physique étonne ; il marche, il lève sans peine un poids énorme, il a précisément ce qu’il faut d’intelligence pour l’action physique. Mais son esprit n’a pas dépassé encore les limites de la vie matérielle ; il a montré du cœur dans les grandes circonstances ; enfant sage, économe, rangé, industrieux, courageux, sa sensibilité dort sous le livre de compte ; son imagination est à peine éclose, sa poésie bégaie. Étrange spectacle que celui d’une énergie matérielle si intense, et d’une pensée dans les lisières de la première enfance ; d’un pays si grand et si petit, si puissant et si faible.

Puis, je le répète, l’Amérique est trop uniformément heureuse.

De quelle civilisation confuse et bizarre sont sortis Corneille, Racine, Molière ! Les types originaux abondaient alors ; la société fourmillait d’anomalies ; il y avait dans les mœurs françaises quelque chose du fanfaron espagnol, de l’intrigant italien, du séditieux de la ligue et du vieux Gaulois. Les originalités plaisantes pullulaient de toutes parts : un contemporain a rempli des volumes de toutes les anecdotes bizarres que fournissait l’époque. Le sol était préparé pour Labruyère et pour Molière. L’Amérique actuelle, dont la population augmente si rapidement, ne présente rien de semblable à cette société bigarrée, bariolée, extravagante, rieuse, aventureuse, folle, goguenarde, héroïque. Tout y est réglé :