Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
244
REVUE DES DEUX MONDES.

plus volontiers aux allanguissemens du présent qu’à la stérilité future de la race humaine.

Dans notre société, les élémens les plus dissemblables vivent ensemble, les traditions monarchiques et féodales et les idées démocratiques, les traditions chrétiennes et catholiques et les idées philosophiques. Les élémens de la vie sociale, dont l’origine est plus ancienne, et dont le développement et le jeu ont depuis long-temps occupé l’histoire, veulent être renouvelés et transformés. Les élémens plus jeunes, qui, pour ainsi parler, sont impatiens d’action et de puissance, veulent se mûrir et se fortifier pour établir leur autorité positive. La monarchie est plus ancienne, elle commence avec l’histoire moderne ; la liberté démocratique est plus jeune, elle paraît au xiie siècle. Le christianisme est plus ancien, il instaure et baptise la société moderne ; la philosophie est plus jeune, elle ne paraît qu’avec la liberté. La société est vivante, et chez elle le bien l’emporte sur le mal : il n’y a pas à songer à la détruire, pour fonder sur ses ruines une société inconnue, mais à la développer, mais à la féconder, mais à tirer de son sein toute la grandeur qui s’y trouve recelée.

Deux mouvemens peuvent se produire sur une ligne parallèle : les uns peuvent pousser la monarchie à des transformations toujours plus démocratiques, et le christianisme à une expression plus rationnelle et plus humaine ; les autres peuvent travailler à douer un jour la démocratie d’une forme sociale qui enveloppe et absorbe toutes les autres, et la philosophie, de cette autorité qui prépare et fonde les religions.

Au fond, voilà ce qui s’est fait depuis cinq ans, d’une manière confuse, irrégulière ; mais l’intention de ces deux travaux était dans la conscience sociale : elle s’y affermira de plus en plus. Il y a cinq ans, il a été offert à la société française de s’abandonner à un élan lyrique ; elle n’y eût pas péri, et elle eût reparu aux yeux des peuples après de longs combats, étincelante et changée. Les destins ne l’ont pas voulu, et nous sommes retombés dans la prose. Sachons y vivre, et poursuivons par la réflexion ce que nous n’avons pu ravir par l’enthousiasme.


Lerminier.