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REVUE. — CHRONIQUE.

Alexandre, échoua, il y a quelques années, devant la fermeté du cabinet anglais. Il s’agissait cependant d’une prétention moins exorbitante que celle-ci. L’empereur avait imaginé de fermer, par un décret, les mers Aléeutiennes, dont les eaux baignent ses possessions du nord. Ce décret interdisait à tous les bâtimens de guerre étrangers l’approche des établissemens russes du Kamtschatka et de toutes ces côtes, à une distance de deux cent milles. Les seules expéditions scientifiques pouvaient souffrir de cet ukase ; néanmoins l’Angleterre en fit un cas de rupture, et l’empereur Alexandre retira tout doucement son décret. Cette fois c’est en apparence à la Turquie qu’on se trouve avoir affaire. Le départ de lord Durham, qui passe par Constantinople, pour sa santé, est certainement relatif à cette affaire. Pour la France, on ne sait ce qu’elle fera. Le ministère, qui s’épanche assez facilement en explications dans les journaux ministériels, ne se laisse pas pressentir ; mais l’affaire de l’Amérique est d’un fâcheux augure. S’il fléchit, on peut dire que ce sera le dernier coup porté à notre commerce, dont on a la prétention de s’occuper exclusivement sous ce régime. L’incertitude de nos rapports avec l’Amérique a interrompu les relations commerciales avec les États-Unis ; l’accession successive de tous les états de l’Allemagne au système de douanes prussien nous ferme tous les débouchés au nord ; en Belgique, à nos portes, la contrefaçon tue une des branches les plus importantes de notre industrie ; il ne nous manquerait plus que d’être privés de protection dans les ports de la Mer Noire, ce qui équivaudrait à une interdiction complète. Il est vrai que, pour dédommager nos armateurs et nos fabricans, il leur resterait les bals des Tuileries et la croix d’honneur.

Notre ministère a bien autre chose à faire qu’à s’occuper du reis-effendi et de l’empereur Nicolas. Ne faut-il pas qu’il mène à fin le procès sur lequel il a joué son existence politique ? Quand il s’assemble en conseil, croyez-vous que, les portes une fois bien fermées, il compte les vaisseaux que la Russie rassemble aux Dardanelles, ou les bataillons qu’elle débarque à Kalish ? Nullement. Ne faut-il pas qu’il suppute auparavant combien il a d’accusés soumis et combien de récalcitrans ; qu’il calcule ce que les catarrhes, la goutte, les eaux, la vie de campagne ou la mauvaise volonté lui ont enlevé de pairs au Luxembourg ? Hier, un des journaux ministériels s’emportait en une violente indignation ; le pays était compromis, disait-il, en danger, il fallait se réunir plus que jamais, serrer les rangs pour le défendre contre des ennemis puissans. Croyez-vous qu’il fût question d’aller à nos vaisseaux menacés par l’Amérique, ou à nos frontières mises en péril par les forces de la sainte-alliance ? Non. L’ennemi est donc plus près, et plus dangereux encore ? C’est donc une