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l’insu des parens, des jeunes gens riches et bien nés en qui la crainte avait détruit la volonté, ou altéré la raison.

Revenus à Tergou, Érasme et son frère trouvèrent l’un des deux tuteurs mort de la peste, sans avoir rendu ses comptes. Le second, occupé de son commerce, s’inquiétait peu de ses pupilles. Guardian était devenu par la suite seul maître d’eux et du peu qu’il leur restait. Il commença à parler très fortement du projet de les engager dans l’église. Immoler deux victimes d’un coup, c’était, pensait-il, se faire deux titres à la vie bien heureuse. Érasme, pour mieux lui tenir tête, concerta un plan de résistance avec son frère, son aîné de trois ans ; lui-même avait alors quinze ans. Ce frère était faible, il avait peur de Guardian, et se voyant pauvre, il aurait volontiers souffert qu’on disposât de lui, pour échapper à la difficulté de résister et aux incertitudes d’une vie précaire. Érasme qui avait, dès ce temps-là, un instinct de son avenir, parla de vendre les lambeaux de terres qui leur restaient, d’en faire une petite somme, d’aller aux universités, d’y finir leurs études, et de s’abandonner ensuite à la grâce de Dieu. Son frère, entraîné par cette confiance, y consentit : ils s’engagèrent par serment à se soutenir l’un l’autre contre leur tuteur ; mais l’aîné y mit la condition qu’Érasme, comme le plus décidé et le plus habile, se chargerait de porter la parole. Érasme le voulut bien ; « mais, dit-il, ne va pas me manquer au moment décisif : car, si je suis seul, toute la tragédie retombera sur ma tête. » Le jeune homme prit les saints à témoin de sa fidélité à sa parole.

Quelques jours après, Guardian les fit appeler. Il le prit d’abord sur un ton doux, parlant longuement de sa tendresse paternelle pour ses pupilles, de son zèle et de sa vigilance ; après quoi il les félicita de ce qu’il venait de trouver pour eux une place chez les moines deux fois canoniques : c’était un des ordres du temps. Érasme répondit aux protestations par des remerciemens ; puis, venant au vrai sujet de l’entretien, il dit « que son frère et lui étaient trop jeunes pour prendre un parti si grave, qu’ils ne pouvaient pas se faire moines avant de savoir ce que c’était qu’un moine ; qu’après quelques années consacrées à l’étude des lettres, ils verraient à traiter mûrement cette affaire ; qu’un peu de réflexion n’y nuirait pas. » Guardian, qui ne s’attendait pas à un re-