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ÉRASME.

fus, éclata en menaces, et cet homme qui s’était fait une réputation de douceur, eut peine à retenir ses mains ; il traita Érasme de brouillon, abdiqua la tutelle, disant qu’il ne leur restait pas un florin, et qu’ils vissent à se procurer de quoi manger. Ces violences arrachèrent des larmes au jeune homme, mais n’ébranlèrent pas sa résolution. « Qu’il soit fait comme vous le désirez, » dit-il. On se sépara dans ces termes. Comme les menaces et les injures avaient eu peu de succès, le tuteur changea de plan ; il confia la négociation à son frère, homme doux, poli et persuasif. Celui-ci fit venir les deux pupilles dans son jardin ; on s’assit, on causa, on versa du vin aux jeunes gens. Quand les têtes furent émues, le tuteur, après quelques entretiens pleins d’amitié, en vint à la grande affaire. Il prodigua les promesses et les prières, il raconta des merveilles de la vie monastique ; il fit si bien que l’aîné oublia ses sermens aux saints, et se laissa faire. Trop de penchans le portaient vers la vie du cloître ; il avait l’esprit lent, un corps robuste, un esprit rusé ; il aimait à boire et à faire pis ; il était déjà moine avant d’être novice.

Érasme avait alors seize ans. Il était délicat, fragile, languissant d’une fièvre quarte ; qu’allait-il devenir, abandonné à lui, seul, pauvre, malade ? Le tuteur redoublait d’obsessions. Il déchaîna contre lui des personnes de toute qualité, de tout sexe, des moines, des demi-moines, des parens, des parentes, des jeunes gens, des vieillards, des gens connus et inconnus. L’esprit du jeune homme était assiégé par toutes ces influences. L’un lui faisait un tableau aimable de la tranquillité monastique, insistant sur ses douceurs, sur ses avantages, tout de même, dit Érasme, qu’on trouverait à louer dans la fièvre quarte. Un autre lui peignait d’un style tragique les périls de ce monde, comme si les moines étaient hors du monde. Celui-ci l’épouvantait du récit des maux de l’enfer, comme si le couvent ne menait pas quelquefois à l’enfer ; celui-là lui citait des exemples miraculeux : « Un voyageur fatigué s’était assis sur le dos d’un serpent, le prenant pour un tronc d’arbre ; le serpent s’éveilla, et tournant la tête, dévora le voyageur. Ainsi le monde dévore les siens. » — « Un homme était venu voir un monastère ; on l’invite à s’y fixer, il refuse ; à peine sorti, il rencontre un lion qui