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Fribourg, et qui l’empêche de dormir, de lire et d’écrire[1]. On disait dans le pays que ces puces étaient des démons. Une femme avait été brûlée quelques jours auparavant pour avoir, quoique mariée, entretenu pendant dix-huit ans un commerce infâme avec le diable. Elle avait confessé, entre autres crimes, que son amant lui avait donné plusieurs grands sacs pleins de puces pour les répandre dans la ville. Érasme, qui raconte ce fait à ses amis, n’est pas très éloigné d’y croire, car il a son grain de superstition, lui aussi, quoiqu’il se moque des franciscains, lesquels disent au peuple que les moucherons qui voltigent sur le corps du franciscain qu’on mène en terre sont des démons qui n’osent pas se poser sur la face bénie du défunt. Déjà, dans la maladie qu’il fit à Paris par l’effet des œufs pourris et des chambres malsaines de Montaigu, n’avait-il pas attribué à l’intercession de sainte Geneviève son retour à la santé[2] ?

Une autre fois, comme il chevauchait de Bâle à Gand, l’esprit tranquille, encore tout enchanté de l’accueil que venait de lui faire un abbé chez lequel il avait passé deux jours fort gaiement, son cheval s’emporte à la vue de quelques guenilles répandues sur le chemin[3]. Érasme, cavalier médiocre et peu brave, quoiqu’il eût fait son apprentissage en Angleterre, au lieu de retenir son cheval, tourne la tête vers son domestique pour lui demander du secours. Le cheval, voyant que son cavalier a aussi peur que lui, fait un écart, et le jette hors de la selle, les pieds pris dans les étriers et la tête en bas. Érasme pousse des cris épouvantables. Le domestique parvient à arrêter le cheval et dégage son maître. Érasme essaie en vain de faire quelques pas, la douleur paralyse ses membres. Ils étaient au milieu d’une plaine nue ; nulle auberge convenable aux environs, mais de malheureuses cabanes sales et délabrées, dont sa délicatesse s’effrayait bien plus que du grand chemin. Que va-t-il faire ? il promet à saint Paul, s’il échappe à ce danger, de terminer ses commentaires sur l’épître aux Romains. Ce vœu fait, il reprend courage, remonte à cheval, et ar-

  1. Lettres, 1479. D. E. F.
  2. Ibid.
  3. Ibid., 160. B. C. D.