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plus grande des trois, la française. Il n’y a pas de plus beau spectacle que celui de l’Allemagne, de l’Angleterre, de la France, renaissant à leur tour, comme l’Italie, et se rattachant à l’antiquité grecque et latine, comme trois membres, long-temps égarés et perdus, de la grande famille humaine, comme trois races d’hommes qui rentrent dans le sein de l’humanité ; et il n’y a pas non plus de plus grand rôle que celui de ces écrivains qui portent le flambeau dans ces ténèbres du moyen-âge, et qu’on entend crier sur tous les points de l’Europe occidentale, à chaque pas qu’ils font en avant : Italie ! Italie ! Tous sont à tout ; tous essaient de lever le voile par un coin : l’un retrouve le système monétaire des anciens, l’autre leur médecine, l’autre leur géographie, l’autre leur système céleste, l’autre leurs usages domestiques ; celui-ci réédite leurs livres, celui-là les commente ; quelques-uns se vouent au grec, un plus grand nombre au latin, les plus ardens à ces deux langues à la fois, et encore aux langues intermédiaires, au grec et au latin du bas-empire, afin de retrouver à la fois tous les anneaux de la grande chaîne de la tradition. La presse, cette nouvelle reine du monde, dès ce temps-là adorée et haïe, comme la plus grande de toutes les puissances ; la presse, avec ses cent mille bras, avec ses ouvriers, hommes supérieurs, les Alde, les Froben, suffit à peine à fixer toutes ces découvertes simultanées. C’est un éclatant réveil de toutes les intelligences ; c’est le sens revenant aux hommes ; c’est le soleil se levant sur les brumes de la Germanie, de l’Angleterre et de la France ; c’est, comme ils le disaient dans leur langage alors si pittoresque, le génie de l’antiquité chassant devant lui les épaisses ténèbres de l’ignorance ! Quel moment ! quelle vie ! quel enthousiasme ! Combien j’admire Érasme, le premier de tous ces écrivains, le plus fécond, le plus infatigable, travaillant debout, toujours, après le repas, entre deux sommeils, ne laissant jamais d’intervalles dans sa pensée, corps d’argile, esprit de diamant[1], composant pour lui, pour ses amis, « qui lui extorquent çà et là quelques petits traités, » se mettant au service de tout le monde, comme un homme « qui ne peut se résoudre à rien refuser, » fournissant de la copie à l’ou-

  1. Lettre. Ingenium adamantinum, 88. E.