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chrétienne, parlait de Luther avec défiance, et témoignait la crainte que ce ne fût une tyrannie substituée à une autre tyrannie, et que le désordre de la réforme ne fût aussi funeste aux lettres que l’oppression monacale. C’était de la contradiction eu égard à ses correspondans ; mais c’était de la sincérité au fond et dans l’intention d’Érasme. Il avait des doutes très sincères sur les effets de la victoire de chaque parti, et de quelque côté qu’il regardât, de tendres inquiétudes pour les lettres nouvellement ressuscitées ; seulement, selon les gens à qui il les confiait, chacun de ces doutes était présenté comme une croyance affirmative. Érasme était un modèle de cette civilité qu’il aurait tant voulu voir aux Germains ; il cherchait à glisser entre tous les amours-propres et toutes les passions avec son indépendance et sa tranquillité sauves ; il ne mentait jamais, mais il appropriait la vérité au caractère et à la situation de chacun, et sans jamais se travestir, il chargeait volontiers son personnage par le côté où il était le plus sûr d’être agréé.

Est-ce la faute de l’homme modéré et vrai ou des passions et de l’ignorance au milieu desquelles il vit, si sa modération a toutes les allures de l’incertitude et du manque de caractère, et s’il ne peut être vrai avec tout le monde qu’à la condition de s’exagérer un peu avec chacun ? Ce serait là une intéressante question de morale historique. Je n’ai pas besoin de dire pour quelle solution je pencherais. On a pu voir par mes précédentes réflexions que je ne donnerais pas tort à la modération, surtout quand cette modération est intelligente, libérale, tolérante, sans souillure d’argent reçu, sans arrière-pensée rétrograde, courageuse dans la mesure de ses certitudes, franche avec tous les ménagemens qui rendent la franchise utile, quand c’est le fruit le plus pur de la raison, cet écho terrestre de la pensée divine. Or, telle fut la modération d’Érasme, sauf quelques fautes de faiblesse, inévitables à tout ce qui est pétri de notre boue, et la plupart excusables par certaines conditions de l’époque où vivait ce grand homme.

Cependant Luther grandissait tous les jours d’audace et d’influence. Il prodiguait les libelles et les apologies ; il s’attaquait personnellement au pape ; il entraînait des princes dans sa que-