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ÉRASME.

mais sans trop y compter, à ce que je crois[1]. « Je prie le Christ très bon et très grand[2] de tempérer de telle sorte l’esprit et le style de Luther, qu’il en résulte beaucoup d’avantages pour la piété évangélique ; je le prie aussi d’animer d’un meilleur esprit certaines personnes qui cherchent leur gloire dans la honte du Christ, et se font un gain de sa ruine. » C’est bien d’un homme qui avait quelques doutes sur l’efficacité de la prière. Ne pouvant s’adresser directement à Luther, il écrivait à Mélanchton ses exhortations pacifiques, dans l’espérance que Mélanchton les ferait lire à Luther. Il parlait de revenir à la forme de la dissertation pure, sans mélange d’appel aux passions ; que la cause de la réforme n’en irait que mieux. Luther lisait ces conseils indirects et s’en moquait devant Mélanchton, lequel défendait les bonnes intentions d’Érasme. Le temps d’Érasme était déjà passé. Il ne pouvait plus que rendre sa modération risible.

Enfin comme rien ne réussissait, ni les avis, ni les prières au Christ très bon et très grand, ni les lettres à Mélanchton, Érasme essaya d’une sorte de censure. Il avait beaucoup de crédit à l’imprimerie de Froben, dont ses écrits faisaient la fortune. Froben imprimait aussi les pamphlets de Luther ; c’est de cette officine de Bâle que sortait toute la polémique religieuse du temps. Érasme menaça Froben de se faire imprimer ailleurs, s’il continuait à publier les écrits de Luther. Il s’en fit du moins un mérite auprès des plus impatiens de ses amis catholiques. Était-ce une menace sérieuse, ou simplement un petit mensonge concerté entre Froben et lui ? Je ne saurais le dire. Quoi qu’il en soit, Froben continua d’imprimer Érasme et Luther, et Érasme continua de lire du coin de l’œil ces livres d’autant plus goûtés qu’ils étaient plus défendus. Luther avait déjà cet avantage sur Érasme qu’il pouvait se dispenser de lire les écrits de l’illustre lettré, et ne pas trouver de temps pour se mettre au courant de ses découvertes philologiques, au lieu qu’Érasme était condamné à lire avidement le moindre des libelles de Luther.

  1. 599. D. E.
  2. Optimus maximus ; c’est ce que les Romains disaient de Jupiter. Dans cette prière d’Érasme l’érudition remplace l’onction.