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ÉRASME.

ouvertes. On se jetait sur ses paroles et sur son silence pour y surprendre des préférences qu’il avait soin plus que jamais de ne pas montrer. Les luthériens l’accusaient de déserter par timidité d’esprit le camp de l’Évangile ; les catholiques lui criaient que s’abstenir, c’était adhérer. Les moines renchérissaient sur le tout ; les moines, ennemis implacables d’Érasme, et dont la querelle datait de bien plus loin que les nouveautés de Luther. Ni les conseils des catholiques prudens qui ne désespéraient pas d’attirer par des ménagemens Érasme dans leur parti, ne les pouvaient adoucir ; ni les apparences de concert entre Érasme et les luthériens ne les pouvaient rendre plus ardens et plus acharnés qu’ils n’étaient déjà. Leur haine ne portait pas sur des différences de dogme ; les railleries d’Érasme les avaient plus blessés que ses hérésies ; ils ne parlaient d’hérésie que pour monter le peuple, lequel ne se serait pas échauffé pour l’honneur des moines, mais aurait volontiers brûlé Érasme pour l’honneur du Christ.

Jusqu’en l’an 1524, Érasme n’avait pas rompu ce laborieux silence, si attaqué de toutes parts, et livré à tant d’interprétations passionnées : nul écrit sorti des presses de Froben n’avait pu donner d’espérances à aucun des deux partis. Sa vie tout entière se passait à expliquer cette résistance, de sorte que se tenir à l’écart lui coûtait plus de veilles que prendre parti. Les flatteries des princes, les promesses de pensions, les lettres autographes des papes, la mitre d’évêque et le chapeau de cardinal entremontrés dans un avenir prochain, avaient échoué contre son impartialité et son goût sincère du repos. Le successeur de Léon x, Adrien, jadis le compagnon d’études d’Érasme à l’université de Louvain, l’interpella directement, à son avènement au trône de saint Pierre, par des exhortations écrites sur le ton lyrique d’une bulle[1]. « J’ai vu, dit le prophète, l’impie élevant sa tête au-dessus des cèdres du Liban ; je n’ai fait que passer, il n’était déjà plus ; j’ai cherché et je n’ai pas trouvé sa place. C’est ce qui doit arriver infailliblement à Luther et aux siens, s’ils ne viennent à résipiscence. Hommes charnels et méprisant toute domination, ils essaient de rendre tous les autres semblables à eux. Hésiteras-

  1. 736. D. E.