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il eut un moment de surprise : il s’attendait à des injures ; au lieu d’injures, il y voyait des raisons, de la science, une discussion modérée, des ménagemens pour sa personne. Il rendit d’abord hommage à la modération de son rival ; mais quand il eut la plume à la main, sa première impression céda vite à la fougue de son esprit et à ses habitudes de diseur d’injures. Il fit un traité du Serf-arbitre[1], en réponse à celui d’Érasme, où il prouva par la forme, sinon par le fond, que l’homme est en effet le serf de sa passion ; qu’en tout temps, sous tous les drapeaux et pour toutes les causes, il aime la liberté pour lui et la hait dans les autres ; que les luxurieux et les simoniaques du concile de Constance avaient eu raison de brûler Jean Hus et Jérôme de Prague, parce que ces illustres victimes n’étaient pas de l’avis du concile ; que la liberté victorieuse devient bientôt le despotisme ; que si lui, Luther, ne rallumait pas le bûcher de Jean Hus pour y brûler Érasme, c’est qu’il n’avait pas sous ses ordres l’armée de bourreaux de Henri viii, le grand admirateur du traité du Libre arbitre. Quant au fond, et pour parler plus spécialement, il entassait de la contre-érudition théologique en réponse à l’érudition d’Érasme, il tourmentait les textes, faisait mentir les autorités, avec grand accompagnement d’invectives ; étrange polémique dont Dieu devait faire sortir l’imprescriptible liberté de la conscience, non certes pour justifier cette polémique, mais pour montrer qu’il sait tirer le bien du mal, en les faisant se succéder l’un à l’autre, mais non s’engendrer l’un de l’autre, car il n’y a point de parenté entre le bien et le mal ?

Érasme fit deux fautes, qui furent une victoire pour Luther, lequel avait su l’y pousser. La première fut de demander justice des calomnies du Serf-arbitre à l’électeur de Saxe, Frédéric, qui était l’ami et le protecteur de Luther ; c’était demander une mauvaise chose, et la demander avec la certitude d’un refus ; la seconde fut de quitter son naturel, de se fourvoyer sur les pas de Luther dans une polémique d’injures réciproques, et de n’y avoir ni originalité ni éloquence, à la différence de Luther, à qui la pratique en était naturelle et relevée d’ailleurs par un grand

  1. De servo arbitrio.