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ÉRASME.

courage, mais d’y mettre une certaine rhétorique misérable et d’invectiver d’une voix cassée et en cheveux blancs. Voici une lettre qu’il répondait à Luther, et où l’on trouve à regretter, parmi quelques paroles dignes et nobles, un déplorable effort pour n’être pas en reste d’injures avec Luther.

Érasme de Rotterdam à Martin Luther.

« Ta lettre m’a été remise tard[1]. Si elle fût venue à temps, je ne m’en serais pas ému. Je n’ai pas l’esprit si puéril qu’après avoir reçu tant de blessures plus que mortelles, je sois calmé par un ou deux badinages et adouci par des cajoleries. Quant à ton esprit, le monde le connaît depuis long-temps ; mais cette fois tu as si bien tempéré ton style[2], que jusqu’ici tu n’as rien écrit de plus furieux, et, qui pis est, de plus malveillant contre personne. Sans doute il va te venir à l’esprit que tu n’es qu’un faible pécheur, toi qui ailleurs demandes qu’on ne te prenne pas tout-à-fait pour un dieu. Tu es, écris-tu, un homme doué d’un esprit véhément, et tu aimes à te vanter de cette insigne excuse de tes actions. Mais que ne déployais-tu depuis long-temps cette véhémence admirable contre l’évêque de Rochester, ou contre Cocchléus, lesquels te provoquent nominativement et te poursuivent d’injures, à la différence de moi qui ai discuté poliment avec toi dans mon traité ? Que font, je te prie, pour la question en elle-même, tant d’injures bouffonnes, tant de mensonges calomnieux ; que je suis un athée, un épicurien, un sceptique sur les matières de la foi chrétienne, un blasphémateur, que sais-je ! bien d’autres choses encore que tu ne dis pas ? Ce sont outrages que je supporte d’autant plus facilement, que sur aucune de ces calomnies ma conscience ne me reproche rien. Si je n’avais sur Dieu et sur les livres saints les pensées d’un chrétien, je ne voudrais pas vivre un jour de plus.

« Si tu avais plaidé ta cause avec cette véhémence qui t’est familière, mais en restant en deçà des fureurs et des injures, tu aurais soulevé moins de gens contre toi ; mais voici que dans plus du tiers de ton dernier volume tu as donné carrière à ton goût pour ce genre de dialec-

  1. Quelle lettre ? serait-ce celle que j’ai citée ? La circonstance qu’elle a été remise tard à Érasme le ferait croire. Serait-ce une lettre ultérieure, et qui a été perdue ? On ne peut rien dire de certain ; mais pour le résultat cela est peu important.
  2. Ceci est une allusion au traité du Serf-arbitre.