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MATTEA.

longues heures de la nuit prosternés dans la mosquée silencieuse.

À l’angle formé par le grand et le petit canal qui baignent ces constructions, une d’elles, qui n’est, pour ainsi dire, que la coque d’une chambre isolée, s’avance sur les eaux à la hauteur de quelques toises. Un petit prolongement y forme une jolie terrasse ; je dis jolie à cause d’une tente de toile bleue, et de quelques beaux lauriers-roses qui la décorent. Dans une pareille situation, au sein de Venise, et par le clair de lune, il n’en faut pas davantage pour former une retraite délicieuse. C’est là qu’Abul-Amet demeurait. Mattea le savait pour l’avoir vu souvent fumer au déclin du jour, accroupi sur un tapis au milieu de ses lauriers-roses ; d’ailleurs chaque fois que son père passait avec elle en gondole devant le fondaco, il lui avait montré cette barraque dont la position était assez remarquable, en lui disant : Voici la maison de notre ami Abul, le plus honnête de tous les négocians.

On abordait à cette prétendue maison par une marche au-dessus de laquelle une niche, pratiquée dans la muraille, protégeait une lampe, et derrière cette lampe, il y avait et il y a encore une madone de pierre qui est bien littéralement flanquée dans le ventre de la mosquée turque, puisque toutes les constructions adjacentes sont superposées sur la base massive du temple. Ces deux cultes vivaient là en bonne intelligence, et le lien de fraternité entre les mécréans et les giaours, ce n’était pas la tolérance, encore moins la charité ; c’était l’amour du gain, le dieu d’or de toutes les nations.

Mattea suivit le degré humide qui entourait la maison jusqu’à ce qu’elle eût trouvé un escalier étroit et sombre qu’elle monta au hasard. Une porte, fermée seulement au loquet, s’offrit à elle, et ensuite une pièce carrée, blanche et unie, sans aucun ornement, sans autre meuble qu’un lit très bas et d’un bois grossier, couvert d’un tapis de pourpre rayé d’or ; une pile de carreaux de cachemire, une lampe de terre égyptienne, un coffre de bois de cèdre, incrusté de nacre de perle, des sabres, des pistolets, des poignards et des pipes du plus grand prix ; une veste qui valait bien quatre ou cinq cents thalers, et à laquelle une corde tendue en travers de la chambre servait d’armoire. Une écuelle d’airain de Corinthe pleine de pièces d’or, était posée à terre à côté d’un yataghan ; c’étaient la bourse et la serrure d’Amet. Sa carabine, couverte de rubis et