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l’autre des épisodes de cabaret, peut être considérée comme une véritable auto-biographie.

Adrien Brauwer était fils d’une paysanne des environs de Harlem. Hals, dans ses promenades, flaira ce talent naissant et le raccola pour l’exploiter à son aise. Le pauvre Brauwer demeura des années entières renfermé dans un petit grenier chez maître François, qui lui donnait pour toute nourriture du pain et de l’eau, et l’obligeait, par des menaces et des corrections, à travailler sans relâche. Puis, quand Brauwer avait achevé sa besogne, Hals prenait le tableau et l’allait vendre à son profit. La femme de Hals, plus avare encore et plus inhumaine que son mari, renchérissait sur ses exigences, si bien que le petit Van Ostade, qui s’était introduit un jour furtivement par une lucarne dans le grenier de son camarade, lui conseilla de se sauver pour ne pas expirer sous la dent de la famine et les soufflets de son patron.

Voilà donc Adrien Brauwer au milieu des rues de Harlem, sans un florin dans la poche, à jeun de la veille, la figure longue, le teint pâle, passant comme une ombre le long des grands murs, et réchauffant à quelques rayons de soleil son esprit et ses sens engourdis. Par bonheur quelques sous lui restaient ; il entre chez un marchand de pain d’épices, et là il fait sa provision de la journée ; puis, quand il eut comblé le précipice de son appétit, il entra dans la grande église de la ville où les orgues étaient en jeu ce jour-là. Placé au pied du buffet, afin de ne rien perdre de cette harmonie enivrante, Adrien oublia pour un instant ses souffrances et l’inquiétude de son avenir. Mais il y fut rappelé bientôt par un gros visage renfrogné, qui surgit tout à coup entre ses regards et la voûte de l’église. C’était l’ami de son maître, qui le prit par le bras, et le ramena dans sa prison.

Il fut plus heureux pourtant une autre fois, car il eut la prudence de s’enfuir tout droit jusqu’à Amsterdam, où un aubergiste, nommé Van Soomeren, lui donna un asile à crédit. Ce brave homme fit même présent au jeune artiste d’une belle planche de cuivre, sur laquelle Adrien peignit aussitôt une dispute de soldats et de paysans, qui venait de se passer sous ses yeux.

Cependant un riche amateur, M. du Vermandois, s’arrêta à