Page:Revue des Deux Mondes - 1835 - tome 3.djvu/522

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
514
REVUE DES DEUX MONDES.

quelques cuillerées de vin de Bourgogne le remettent ; c’était le traitement qu’on opposait à ses douleurs de gravelle. La crise passée, sa figure redevient calme et riante ; il reprend :

— « Votre époux, saintes filles, se glorifie de tous ses saints, mais principalement des martyrs et des vierges. Ce sont là les parures dont s’enorgueillit le plus l’église du Christ, laquelle ne tire sa gloire que de son époux ; mille vertus l’environnent comme des pierreries ; mille fleurs le décorent, mais celles qu’il aime par-dessus toutes, ce sont les roses des martyrs et les lis des vierges. » Suit un éloge de la virginité sur ce ton ridicule et grimaçant. Quelle pitié que la gloire ! Il faut rire d’une bouche contractée par la souffrance, et développer des lieux communs prétentieux aux heures où l’on aurait besoin de sommeil. Il faut dicter, d’une voix dolente, des dragées épistolaires en réponse à des dragées de nonnes ; il faut mêler les fleurs de rhétorique aux potions calmantes, et se livrer au médecin entre deux jolies phrases ! Pauvre Érasme ! Mais ce n’est pas tout.

Un messager est arrivé la veille de Breslau[1]. Il a apporté, de la part de l’évêque Jean Turzon, docte prélat, admirateur passionné d’Érasme, quatre clepsydres de verre d’une nouvelle invention, dont le sable, en tombant insensiblement, mesure les heures ; quatre petits lingots d’or vierge, extrait des mines du diocèse de l’évêque, symbole de l’immortalité qui attend Érasme ; plus un bonnet d’hermine, dont la douce chaleur et le poil soyeux, dit le bon Jean Turzon, rappelleront à Érasme l’amour qu’il a pour lui. Les cadeaux sont là étalés sur le buffet, attendant un remerciement littéraire, travaillé, précieux. Érasme les regarde d’un œil résigné et dicte :

« Si tu veux me permettre de faire quelque peu de philosophie sur tes petits présens, je félicite ton diocèse d’avoir des mines d’où l’on tire un or si brillant et si pur ; mais je t’estime bien plus heureux, toi qui tires des veines bien autrement précieuses des saintes Écritures l’or de la sagesse évangélique, cet or dont tu enrichis le troupeau qui t’est confié… »

  1. 522. F.