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ignobles et le scélérat sous ceux de la franchise et de la loyauté. — Lavater nie le fait. Tout novice qui veut se presser de pratiquer doit tomber dans de graves erreurs, pense-t-il ; mais quiconque confierait les secrets de la médecine à des écoliers, s’exposerait à d’affreux dangers. L’homme éclairé fait plus de bien que l’ignorant ne fait de mal ; car l’ignorant n’est pas destiné à jouir d’un long crédit parmi les hommes, tandis que celui du vrai savant s’accroît de jour en jour. Toute science est un apostolat qui demande des hommes éprouvés et dignes d’en être investis. Quant à ces scélérats à faces d’ange et à ces honnêtes gens à tournure ignoble qu’on lui objecte, il déclare que ces apparences ne trompent pas le vrai physionomiste. « Souvent, dit-il, les indices d’une passion généreuse touchent de si près à ceux de la même passion dégénérée en excès et en vice, que l’œil inexpérimenté peut s’y méprendre. Il ne s’en faut que d’une demi-ligne, d’une courbe légère, d’une dimension inappréciable au premier abord. Il s’en faut de si peu ! dit-on ; mais ce peu est tout.

« Il arrive souvent que les plus heureuses dispositions se cachent sous l’extérieur le plus rebutant. Un œil vulgaire n’aperçoit que ruine et désolation : il ne voit pas que l’éducation et les circonstances ont mis obstacle à chaque effort qui tendait à sa perfection. Le physionomiste observe, examine et suspend son jugement. Il entend mille voix qui lui crient : — Voyez quel homme ! — Mais au milieu du tumulte il distingue une autre voix, une voix divine qui lui crie aussi : — Vois quel homme ! — Il trouve des sujets d’adoration là où d’autres blasphèment, parce qu’ils ne peuvent ni ne veulent comprendre que cette même figure, dont ils détournent la vue, offre des traces du pouvoir, de la sagesse et de la bonté du créateur. » — « Il voit le scélérat sur le visage du mendiant qui se présente à sa porte, et il ne le rebute pas ; il lui parle avec cordialité. Il jette un regard profond dans son ame, et qu’y voit-il ? — Hélas ! vices, désordre, dégradation totale. — Mais est-ce là tout ce qu’il y découvre ? quoi ! rien de bon ? — Supposé que cela soit, encore il y verra l’argile qui ne doit et ne peut dire au potier : Pourquoi m’as-tu fait ainsi ? — Il voit, il adore en silence, et détournant son visage, il dérobe une larme dont le langage est énergique, non pour les hommes, mais