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LETTRES D’UN VOYAGEUR.

l’oppresse ; laissez-le agir librement, il n’est que trop accablé déjà. Son imagination et sa sensibilité transforment un grain de sable en une montagne. Mais, grâce à son élasticité naturelle, une montagne souvent ne lui pèse pas plus qu’un grain de sable.

« Il aime, sans avoir été jamais amoureux. Pas un de ses amis ne s’est encore détaché de lui. Son caractère pensif le ramène sans cesse aux préceptes qu’il s’est tracés, et dont il s’est fait cette espèce de code :

« Sois ce que tu es ; que rien ne soit grand ni petit à tes yeux. Sois fidèle dans les moindres choses. Fixe ton attention sur ce que tu fais comme si tu n’avais que cela seul à faire. Celui qui a bien agi dans le moment actuel a fait une bonne action pour toute l’éternité. Simplifie les objets, soit en agissant, soit en jouissant, soit en souffrant. Donne ton cœur à celui qui gouverne les cœurs. Sois juste et exact dans les plus petits détails. Espère en l’avenir. Sache attendre, sache jouir de tout et apprends à te passer de tout. »

Il est intéressant de lui entendre raconter de quelle sorte il devint passionné pour la physiognomonie. « Jusqu’à l’âge de vingt-cinq ans, dit-il, je ne m’étais pas encore imaginé de faire des remarques sur les physionomies. Quelquefois cependant, à la première vue de certains visages, j’éprouvais une sorte de tressaillement qui durait encore quelques instans après le départ de la personne, sans que j’en susse la cause, ou même sans que je songeasse à la physionomie qui l’avait produit. »

Pour moi, j’ai toujours pensé que certaines organisations sont si exquises, qu’elles possèdent des facultés presque divinatoires. En elles, l’enveloppe terrestre est si éthérée, si diaphane, si impressionnable, que l’esprit qui les anime semble voir et pénétrer à travers la matière qui enveloppe ou compose le monde extérieur. Leur fibre est si tendre et si déliée, que tout ce qui échappe aux sens grossiers des autres hommes la fait vibrer, comme la moindre brise émeut et fait frémir les cordes d’une harpe éolique. Vous devez être de ces organisations perfectionnées et quasi-angéliques, mon cher Frantz. Votre physionomie, votre complexion, votre imagination, votre génie, décèlent ces facultés dont le ciel dote ses vases d’élection. Moi, je suis de ceux qui dorment la nuit, qui marchent et